Résumé

Dans un texte de 1990 intitulé « Vers une ère post-média », Félix Guattari s’interrogeait sur les évolutions des technologies médiatiques : la jonction entre la télévision, la télématique et l’informatique devait selon lui conduire à un renversement des pratiques, permettant aux récepteurs passifs de se réapproprier les « machines d’information, de communication, d’intelligence, d’art et de culture » et de renverser ainsi le « pouvoir mass-médiatique ». Trente ans plus tard, force est de constater que les « pratiques moléculaires alternatives » alors anticipées par Guattari n’ont pas suffi.
À « l’ère post-média » s’est en effet substituée « l’ère post-vérité » : si le « pouvoir mass-médiatique » des « industries culturelles » audiovisuelles a été perturbé par la révolution numérique, il semble néanmoins avoir laissé place à de nouvelles formes de captation de l’attention, par des « technologies persuasives » fondées sur la collecte des données et l’exploitation des pulsions, qui génèrent des phénomène de désinformation et exacerbent la polarisation des opinions. Dans un tel contexte, la question qui se pose est moins celle de savoir comment contrôler les contenus, que celle de savoir comment repenser le fonctionnement technique et les modèles économiques des médias numériques, afin de les mettre au service de la controverse et du débat argumenté, caractéristiques de l’activité scientifique comme de la vie politique des sociétés.
Peut-on concevoir des plateformes permettant de partager des interprétations et de confronter des points de vues singuliers, et non seulement de diffuser des informations ou de « suivre » des personnalités ? Peut-on passer d’une économie des données fondée sur la logique de l’audience et la publicité ciblée à une économie des savoirs, fondée sur un espace public numérique « isonomique » ? En nous appuyant sur les travaux de Bernard Stiegler, nous soutiendrons qu’en dépit de leur appropriation par un capitalisme computationnel hégémonique, les technologies numériques recèlent des potentialités contributives inédites, susceptibles de dépasser la situation de « misère symbolique » inhérente aux médias analogiques. Tout l’enjeu consiste alors à penser des « milieux associés » numériques, dans lesquels les fonctions de production et de réception des symboles ne sont plus séparées, et où pourraient se développer de nouvelles formes de réflexivité.

Auteur(s)

Anne Alombert est maîtresse de conférence en philosophie contemporaine à l’Université Paris 8 (Laboratoire d’études et de recherches sur les logiques contemporaines de la philosophie) et membre du Conseil National du Numérique. Elle est auteure d’une thèse de philosophie consacrée aux questions de l’humain et de la technique dans les oeuvres de Gilbert Simondon et Jacques Derrida. Ses recherches portent sur les rapports entre savoirs et technique dans l’histoire de la philosophie (notamment dans les travaux de Gilbert Simondon, Jacques Derrida et Bernard Stiegler), ainsi que sur les enjeux anthropologiques, épistémiques et politiques des transformations technologiques contemporaine. Elle est co-auteure du livre Bifurquer avec Bernard Stiegler et le collectif Internation (publié aux éditions Les liens qui libèrent en 2020). Elle a dirigé l’ouvrage collectif Prendre soin de l’informatique et des générations, publié aux éditions FYP en 2021. Elle est membre du collectif de recherche Organoesis.
Page personnelle : https://llcp.univ-paris8.fr/anne-alombert-mcf

Plan

1 - Les enjeux politiques de l’uniformisation mass-médiatique : retour sur les réflexions de Félix Guattari et Jacques Derrida dans les années 1990

Dans son livre publié en 1989 sur les Trois écologies, dans l’article de 1990 intitulé « Vers une ère post-média » et dans d’autres textes datant de la même époque, Félix Guattari s’interroge sur les enjeux psychiques et politiques des évolutions technologiques et médiatiques : la « mass médiatisation accélérée de l’ensemble des sociétés1 » constitue selon lui « une entreprise d’infantilisation de l’opinion et de neutralisation destructive de la démocratie2 ». Outre la saturation des écrans de télévision par « une population d’images et d’énoncés dégénérés3 », outre les « manipulations de l’opinion par la publicité4 », Guattari pointe le risque d’un « sérialisme mass-médiatique5 » qui conduit à l’uniformisation des comportements, au conformisme des modes, au consensus abêtissant et infantilisant et à une homogénéisation des subjectivités, désormais produites industriellement à partir des médias et des équipements collectifs, qui captent les investissements libidinaux, façonnent les imaginaires et manipulent la sensibilité audiovisuelle du grand public. A mesure qu’il décentre « ses foyers de pouvoirs depuis les structures de production de biens et de services vers les structures productrices de signes, de syntaxe et de subjectivité6 », le capitalisme mondial intégré s’est peu à peu délocalisé et déterritorialisé « à la fois en extension, en étendant son emprise sur l’ensemble de la vie sociale, économique et culturelle de la planète et, en intension en s’infiltrant au sein des strates subjectives les plus inconscientes7 ». « L’objet du CMI est, à présent, d’un seul tenant : productif-économique-subjectif8 », affirme ainsi Guattari dans Les trois écologies, insistant sur la nécessité d’affronter ses effets dans le domaine de l’écologie mentale et sociale, et non plus seulement de s’opposer à lui « de l’extérieur par les pratiques syndicales et politiques traditionnelles9 ».

En effet, ce « laminage des subjectivités10 » semble très problématique à Guattari : outre son potentiel destructeur pour la vie psychique quotidienne comme pour la vie conjugale, familiale et sociale, il risque de provoquer « une sorte de mouvement général d’implosion et d’infantilisation régressive11 » qui pourrait conduire au pire. L’ « usinage mass-médiatique, synonyme de détresse et de désespoir », coïncide en effet avec « la montée de tous les périls : ceux du racisme, du fanatisme religieux, des schismes nationalitaires basculant dans des refermetures réactionnaires12 ». La déterritorialisation des flux capitalistiques, qui s’étendent depuis les strates subjectives les plus intimes jusqu’à la planète entière, engendre en retour toutes sortes de « reterritorialisations paranoïaques » et archaïques : « parallèlement à cette déterritorialisation générale des moyens de sémiotisation du cosmos, de la vie, des rapports sociaux, des rapports imaginaires, etc., on assiste à une massive reterritorialisation, à un massif retour à des idéologies de référence, quelquefois tout à fait archaïsantes13 » suggère ainsi Guattari. « Les gens sont tellement perdus, tellement affolés par la déterritorialisation des rouages sociaux, des espaces et des temps » qu’ils tendent à se réfugier dans les fantasmes d’une terre natale ou d’une filiation originaire : « dans le Tiers Monde, comme dans le monde développé, ce sont des pans entiers de la subjectivité collective qui s’effondrent ou qui se recroquevillent sur des archaïsmes14 », que certaines formations de pouvoirs ne tardent pas à exacerber. « Sous des formes variées, écrit Guattari, un microfascisme prolifère [ainsi] dans les pores de nos sociétés, se manifestant à travers le racisme, la xénophobie, la remontée des fondamentalismes religieux, du militarisme, l’oppression des femmes15 ». Bref, selon Guattari, « la crise actuelle des médias » constitue « le symptôme d’une crise beaucoup plus profonde »16 : « les nouvelles technologies sécrètent dans le même mouvement, de l’efficience et de la folie17 ».

Pour autant Guattari ne tombe pas dans l’écueil d’une condamnation des technologies et des médias : il est bien évident, selon lui, que « les invocations au retour à la nature » ou à la « défense de l’environnement » ne « suffiront jamais à arrêter les méga-machines qui, actuellement, sont en train de tout balayer sur leur passage »18. A l’inverse, le « renouveau de la démocratie » ne peut s’effectuer que sur la base d’une gestion pluraliste de l’ensemble des composantes machiniques, sur la base d’une « réappropriation » des technologies médiatiques « par une multitude de groupes-sujets capable de les gérer dans une voie de resingularisation » individuelle et collective19. « La jonction entre la télévision, la télématique et l’informatique » devrait permettre la diversification des sources d’informations et donner accès à « un nombre indéfini de banques d’images et de données »20, ainsi qu’à la possibilité, pour les « groupes sujets », de se saisir des technologies audiovisuelles auparavant réservées à un petit groupe de professionnels. Il s’agirait alors de « faire transiter les sociétés capitalistiques de l’ère mass-médiatique vers une ère post-médiatique21 », c’est-à-dire de passer de l’ « état de passivité » devant l’écran (dans lequel se trouvent le plus souvent les spectateurs de télévision) à un « usage interactif des machines d’information, de communication, d’intelligence, d’art et de culture »22. « Il s’agira à l’avenir, écrit Guattari, de cultiver le dissensus et la production singulière d’existence » (par opposition au consensus abêtissant et infantilisant) : « la démocratie écosophique ne s’abandonnera pas à la facilité de l’accord consensuel : elle s’investira dans la métamodélisation dissensuelle23 », il s’agira d’apprendre à accepter l’adversité, à l’aimer pour elle-même, à dialoguer avec elle24. Bref, selon Guattari, la révolution technologique en cours pourrait être porteuse d’un potentiel émancipateur : la miniaturisation des technologies médiatiques, leur possible utilisation à des fins citoyennes et non capitalistiques, pourrait permettre de dépasser le pouvoir mass médiatique dont le déclin s’annonçait dans les années 1990, en permettant l’expression des singularités et la confrontation à l’altérité.

A la même époque, dans différents écrits de la décennie 1990, et en particulier dans son entretien avec Bernard Stiegler intitulé Échographies de la télévision, Jacques Derrida s’interrogeait lui aussi sur les nouveaux « pouvoirs techno-médiatiques » qui s’exercent dans la sphère politique à travers la mise en œuvre d’une « culture confusément qualifiée de mass-médiatique », qui correspond en fait à la production et à la diffusion « sélective et hiérarchisée de l’information sur des canaux dont la puissance s’est accrue de façon absolument inédite »25. Un tel dispositif implique des processus de choix, de tri, de sélection, dans la mémoire collective et donc dans l’opinion publique : quand bien même il ne suppose aucune « censure délibérée », un contrôle de l’archive s’exerce néanmoins à travers une « appropriation du temps et de l’espace public », qui « met en danger » la vie démocratique26. Dans des sociétés qui prétendent au débat public, la question se pose en effet, selon Derrida, de savoir « qui possède, qui peut s’approprier, qui peut sélectionner, qui peut montrer les images, qu’elles soient directement politiques ou non », en particulier quand la majorité des citoyens, devenue une « masse de consommateurs » se trouve dans « un état de quasi-analphabétisme à l’égard des images » qui circulent pourtant à une vitesse qui dépasse l’entendement27. « Ce surcroît de spontanéité, de liberté, de fluidité serait comme la prime d’une précarité, d’une exposition menacée, voire calmement angoissée, le bénéfice d’une sorte d’aliénation28 », affirme ainsi Derrida : en effet, « la plupart des dispositifs technomédiatiques qui construisent notre espace moderne sont utilisés par des gens qui n’en ont pas la compétence29 » et qui se trouvent ainsi en position d’utilisateurs ou de récepteurs passifs, privés de tout droit de réponse comme de toute capacité critique.

Cet effet d’incompréhension se combine à un effet de déterritorialisation : outre que la télévision introduit « dans le chez soi l’ailleurs et le mondial » et provoque ainsi un effet de « dislocation générale », les nouvelles technologies de l’information et de la télécommunication impose un nouveau « partage des images et des informations », dont la circulation n’est plus réglée par une « communauté territorialement délimitée, nationale ou régionale », mais qui passe les frontières à travers de nouvelles « routes » « télémédiatiques » et « télétechniques », selon de nouvelles « temporalités » et de nouvelles « rythmiques » (celles « du téléphone, du fax, de la télévision, [de l’] E-mail ou [de] l’Internet »)30. A travers le « développement accéléré des télétechnologies, du cyberespace, de la nouvelle topologie du “virtuel” », s’opère ainsi une « déconstruction pratique des concepts traditionnels et dominants de l’État et du citoyen (donc du “politique”) dans leur lien à l’actualité d’un territoire31 », écrit Derrida. L’« inscription en un lieu, dans un territoire ou dans une nation dont le corps est enraciné dans un territoire privilégié – donné, perdu ou promis » se voit ainsi menacée. « L’effet global et dominant de la télévision, du téléphone, du fax, des satellites, de la circulation accélérée des images, des discours, etc. écrit Derrida, c’est que le ici-maintenant devient incertain, sans assurance : l’ancrage, l’enracinement, le chez-soi sont radicalement contestés. Délogés32. » « Cela n’est pas nouveau, précise Derrida. Il en a toujours été ainsi. Le chez-soi a toujours été travaillé par l’autre, par l’hôte, par la menace de l’expropriation. Il ne s’est constitué que dans cette menace. Néanmoins, on assiste aujourd’hui à une expropriation, une déterritorialisation, une délocalisation, une dissociation si radicale du politique et du local, que la réponse, il faudrait dire la réaction, cela devient : je veux être chez moi, […] avec les miens, auprès de mes proches. Cela n’est même pas une réponse d’ailleurs, ce n’est pas une réactivité secondaire qui viendrait en quelque sorte compenser, réagir après coup, non, c’est le même mouvement33. ». De même que pour Guattari, les nouvelles technologies sécrétaient, dans le même mouvement, de l’efficience et de la folie, de même ici, Derrida rappelle que c’est un même mouvement, « bifide ou polaire », qui allie intrinsèquement l’expropriation, la délocalisation et l’uniformisation télétechnologique et le retour vers le chez soi, la fermeture des frontières ou les revendications identitaires. Les nouveaux réseaux télémédiatiques ne peuvent relier les individus de la planète « dans une sorte de grand village démocratique » qu’en liquidant du même coup les localités singulières et idiomatiques à travers une « homohégémonie » techno-médiatique, qui génère en retour des réactions de fermetures ou de replis : « le recours au chez soi, le retour vers le chez-soi, affirme Derrida, est d’autant plus puissant, (...) qu’est puissante et violente l’expropriation technologique, la délocalisation34 ».

Et cependant, de même que pour Guattari, il n’y aurait aucun sens, pour Derrida, à s’opposer aux télétechnologies. Comme le suggérait Guattari, pour Derrida aussi, seule une réappropriation et une resingularisation des dispositifs pourrait permettre de dépasser le double écueil de l’accélération télétechnologique et des replis archaïques : il insiste alors sur la nécessité d’inventer un nouveau compromis entre développement technoscientifique et désir idiomatique, qui « ne freine pas le savoir, la technique, la science et la recherche », mais qui fasse droit à une « autre expérience de la singularité », fondée sur de nouvelles pratiques de réceptions et de productions médiatiques35. « Des médias », affirmait Derrida, « il n’y en a pas assez »36 : il ne s’agit pas de les rejeter, mais de donner aux citoyens la possibilité de les développer dans le sens de leurs projets singuliers, afin qu’ils ne servent pas les intérêts d’une oligarchie homogénéisante et hégémonique, mais qu’ils se diversifient, afin d’intensifier « les savoirs, la vérité, et la cause de la démocratie37 ».

2 - De l’ère post-média à l’ère post-vérité : écologie mentale et écologie sociale dans le milieu numérique

En dépit des avertissements de Derrida et de Guattari, il n’est pas certain néanmoins que les télétechnologies médiatiques contemporaines se soient développées dans le sens des singularités, des savoirs et de la démocratie. Au contraire, loin de l’« ère post-média » espérée dans les années 1990, le XXIe siècle est aujourd’hui décrit comme une « ère post-vérité38 » qui correspond aussi à l’époque de la « post-démocratie39 », deux expressions visant à décrire les nouveaux enjeux politiques auxquels sont confrontés les sociétés. L’expression de « post-vérité » désigne l’évolution des interactions entre la politique et les médias numériques, qui aurait conduit à une perte d’influence des faits objectifs et des discours argumentés dans le débat public, désormais polarisé autour des appels à l’émotion et aux opinions. L’expression de « post-démocratie » décrit quant à elle la crise de confiance vis-à-vis des institutions étatiques et la soumission progressive du pouvoir politique aux intérêts économiques. Quoi que l’on pense de ces constats, sans doute discutables à certains égards, il semble en tout cas que les évolutions techno-médiatiques des dix dernières années n’aient pas tenues les promesses qu’elles auraient pu apporter. En effet, si les « industries culturelles » audiovisuelles ont été largement perturbées par l’avènement des « médias sociaux » numériques, si nous pouvons désormais zapper entre cinquante chaînes, comme le prévoyait Guattari, et accéder à tout type d’émissions, il n’est pas certain pour autant que la logique de l’audience et l’économie de l’attention qui sous-tendent les infrastructures médiatiques ait été abandonnée : quand on compare les affirmations de Patrick Le Lay, ancien directeur général de la chaîne de télévision TF1, qui soutient que son métier consiste à vendre du « temps de cerveau disponible » à Coca-Cola40, et les affirmations de Reed Hastings, directeur général de la plateforme Netflix, qui affirme que son principal concurrent est le sommeil41, on voit bien que la logique sous-jacente demeure la même – à ceci près que le « capitalisme mondial intégré » décrit par Félix Guattari il y a quelques années et fondé sur les industries culturelles télévisuelles, est désormais devenu un « capitalisme [computationnel] à l’assaut de notre sommeil42 » décrit par Jonathan Crary aujourd’hui, fondé sur l’industrie des traces numériques et l’usage des objets connectés, dont les interfaces nous maintiennent captifs à toute heure de la journée. Ainsi, de même qu’en 1992, à l’époque où écrivaient Guattari et Derrida, le Conseil Supérieur de l’Audiovisuel (CSA) avait interdit la diffusion d’images subliminales à la télévision, de même, trente ans plus tard, en 2022, le Comité Européen de la Protection des Données (CEPD) s’interroge sur la nécessité de réguler les dark patterns, ces fonctionnalités numériques spécialement conçues pour tromper les utilisateurs et influencer leurs choix à leur insu.

Qu’il s’agisse de la technique du « défilement infini » (infinite scrolling), qui nous permet de faire défiler les vidéos sur nos écrans sans arrêt, des notifications sonores ou visuelles, qui exploitent notre hypervigilance attentionnelle, des applications gamifiées, qui stimulent la sécrétion de dopamine dans nos cerveaux connectés43, ou de « l’apprentissage par conditionnement opérant », qui permet de créer des habitudes comportementales en déclenchant des réponses-réflexes aux signaux envoyés par nos environnements digitaux, le fonctionnement des technologies numériques persuasives témoigne d’une connaissance et d’une exploitation très fine des processus cérébraux et cognitifs les plus primitifs44. Et pour cause, ces dispositifs ont été savamment conçus et développés dans les plus grandes universités de la Silicon Valley, selon les principes de la « captologie », discipline qui se fonde sur la convergence entre les sciences cognitives, la psychologie comportementale, les neurosciences et l’informatique, afin de faire des technologies numériques des « technologies persuasives45 », c’est-à-dire, des moyens d’influencer les pensées et les conduites, en exploitant les biais cognitifs et les réactions compulsives. Grâce à la collecte massive de données et à la génération automatique de profils standardisés, il devient possible de cibler les utilisateurs « dividualisés » afin de leur suggérer ou de leur recommander toutes sortes de contenus ou de publicités. Bien sûr, les consciences ne sont plus synchronisées par les programmes télévisuels, comme cela était le cas à l’époque de l’audiovisuel, mais ce sont les pensées et les comportements qui sont désormais directement « influencés » à un niveau infraconscient, selon des modèles corrélationnels appliqués aux individus en temps réel. La relation entre dispositifs techniques et individus humains se voit ainsi réduite à un conditionnement pavlovien : les données récoltées et calculées (avec ou sans le consentement des usagers) rétroagissent sur les individus, court-circuitant les temps de suspension et de réflexions qui permettrait à leurs conduites de bifurquer vers d’autres horizons. Moins que jamais les objets techniques ne peuvent être considérés comme des moyens neutres auquel il serait possible de librement assigner des finalités : les technologies persuasives constituent moins des moyens au service des humains qu’un milieu qui conditionne et configure leurs quotidiens, et qui a donc de profondes implications en termes d’écologie mentale et en terme d’écologie sociale.

En termes d’écologie mentale tout d’abord, les effets nocifs de la surexposition aux écrans n’ont cessés d’être soulignés ces dernières années : en 2018, le journal Le Monde publiait une tribune signée par une dizaine de médecins, de pédiatres et de psychologues, alertant sur « les graves effets d’une exposition massive et précoce des bébés et des jeunes enfants à tous types d’écrans »  : la tribune suggérait que l’usage immodéré des écrans risquait de court-circuiter les relations parents/enfants et de générer des troubles du langage et du comportement46. Un an plus tard, le neuroscientifique Michel Desmurget, qui s’intéresse aux effets des écrans sur le développement cérébral, allait même jusqu’à parler de « décérébration » pour désigner un phénomène de perte de capacités intellectuelles (comme la mémoire et l’attention) en raison d’une fréquentation trop importante des écrans47. Plus modérés, les travaux de la chercheuse Katherine Hayles avaient déjà suggéré depuis une dizaine d’années que le passage des médias imprimés aux médias numériques engendrait un changement de régime attentionnel : Hayles soulignait que la numérisation des supports et le fonctionnement des médias numériques impliquait le passage progressif d’une attention profonde (capacité à se focaliser sur un objet pendant longtemps) en une hyper-attention (caractérisée par une dispersion ou une dissémination de l’attention sur plusieurs tâches ou objets en même temps et un besoin constant de sollicitation, qui implique certains troubles attentionnels)48. De tels troubles ne concernent d’ailleurs pas que les jeunes générations : le syndrome de saturation cognitive liée à une surcharge informationnelle est largement répandu dans la populations, et les nouvelles formes d’addictions ou de dépendances aux applications ou aux réseaux sociaux, concernent aussi bien les adultes que les adolescents, en particulier quand ils sont fondés sur des systèmes de reconnaissance sociale qui active le circuit de la récompense et procure un sentiment de satisfaction. Néanmoins, ce besoin narcissique de reconnaissance a aussi des effets pervers : il se fonde sur une mise en concurrence et en compétition des individus sur les réseaux, précisément conçus pour favoriser la comparaison des uns aux autres à travers la quantification des vues. Or, ces rapports de compétition et de concurrence ne sont pas sains : en septembre 2021, une étude publiée dans l’American Economic Review établissait ainsi une corrélation entre l’utilisation de Facebook et l’aggravation des taux d’anxiété et de dépression chez les étudiants49, et deux mois plus tard, les Facebook Files révélés par Frances Haugen témoignaient de la nocivité d’un réseau social comme Instagram (racheté par Facebook) pour l’image de soi des adolescentes50.

Ces effets toxiques en termes d’écologie mentale sont évidemment corrélés à des pathologies sociales : outre leurs effets sur la vie psychique, la mise en concurrence des individus sur les réseaux engendre aussi des comportements sociaux problématiques. Même si le caractère bi-directionnel des médias numériques (qui permet aux utilisateurs de devenir producteurs, et non seulement récepteurs, de contenu) correspond en apparence à la « démassification » des médias que Derrida et Guattari appelaient de leur vœux, des fonctionnalités comme la quantification des likes, des followers ou des vues engendrent des effets de mimétismes, qui ne font pas dans le sens d’une singularisation des pratiques, mais engendrent au contraire de nouveau type de foules numériques, Comme l’ont montré les travaux de Goeff Schullenberger, les normes techniques et les modèles économiques sous-jacents aux réseaux sociaux dominants sont propices à produire des comportements mimétiques et violents51. Pour être le plus remarqué, chacun est prêt à tout poster, en particulier les nouvelles les plus sensationnelles, quand bien même il s’agirait d’images choquantes ou d’informations non-pertinentes. Néanmoins, seuls quelques utilisateurs peuvent recevoir les millions de « likes  » ou de «  followers », dont la majorité demeurera à jamais privée, générant ainsi un sentiment de frustration et d’envie grandissant. Dès lors qu’elle ne peut pas être obtenue individuellement, la récompense sera recherchée à travers la fusion avec un groupe déjà existant et jouissant déjà d’une certaine notoriété : les individus en compétition deviennent alors des foules mimétiques, regroupées derrière une personnalité ou une idée, bien souvent en opposition à un ennemi collectivement désigné. L’agressivité des membres se voit ainsi résorbée en se réorientant vers une victime sacrificielle, qui attise l’indignation, l’hostilité et la haine52, selon les principes de la violence mimétique théorisée par René Girard, qui fut le professeur de Peter Thiel à l’Université de Stanford : c’est d’ailleurs la théorie du désir mimétique qui avait poussé Peter Thiel (fondateur de Paypal devenu conseiller de Donald Trump) à investir dans Facebook53. Les quantités massives d’« amis » Facebook pourraient ainsi masquer un « business de la haine54 » fondé sur des dynamiques sociales mimétiques, qui ne favorisent pas la constitution de « groupes sujets » singuliers. En effet, les plateformes dominantes aujourd’hui et pour la plupart issues de la Silicon Valley rendent difficiles la formation de collectifs et l’expression des singularités : les individus y sont atomisés et ne peuvent publier que selon des formats prédéterminés (le bouton like, tel ou tel émoticône, 280 caractères, etc.) qui favorisent l’uniformisation des expressions. Par ailleurs, en leur suggérant des contenus adaptés à leurs traces passées, les algorithmes tendent à les regrouper dans des « bulles de filtres », c’est-à-dire, dans des univers informationnels clos et non communicants qui ne peuvent que renforcer leurs opinions et court-circuitent les possibilités de débats et de confrontation. Les applications de rencontres sont symptomatiques sur ce point : elles tendent à réduire la rencontre de l’autre, par définition inattendue, imprévisible et singulier, à un choix rationnel entre options ou à un acte de consommation, effectué selon des critères prédéterminés55. Il s’agit moins d’exprimer une singularité et de se laisser transformer par l’altérité que de chercher un double numérique correspondant à des attentes prédéfinies. Bref, lorsqu’elles sont mises au service de l’économie de l’attention et de l’automatisation des relations, les technologies numériques ne vont pas du tout dans le sens de la re-singularisation des pratiques et de la confrontation à l’altérité évoquées par Guattari.

3 - Des technologies persuasives aux technologies contributives : la question du « web herméneutique » dans la pensée de Bernard Stiegler

Lorsque l’on s’interroge d’un point de vue organologique56, c’est-à-dire, sur les normes techniques, les logiques économiques, les théories scientifiques et les enjeux politiques sous-jacents aux dispositifs médiatiques dominants, on se rend vite compte du caractère hautement pharmacologique des technologies numériques : si elles ouvraient de nombreuses promesses d’émancipation par rapport aux médias de masse précédents, le remède semble s’être renversé en poison. La question se pose aujourd’hui de savoir comment lutter contre les effets toxiques des technologies numériques persuasives - non pas en contrôlant les contenus, comme voudraient le faire de nombreux gouvernements, au risque d’instaurer de nouvelles formes de censures, mais en transformant le fonctionnement même des infrastructures – c’est-à-dire, les normes techniques, les principes épistémologiques et les logiques économiques qui sont à leur principe. Tel était précisément le but des recherches conduites par Bernard Stiegler autour des technologies contributives et du web herméneutique, que l’on retrouve dans nombre de ses ouvrages et articles publiés dans les années 2000 et 201057. Les technologies contributives désignent des technologies numériques qui ne sont pas fondées sur la transmission d’informations en temps réel et sur la captation et l’exploitation des attentions individuelles, mais au contraire, qui permettent la constitution de groupe de pairs, le partage de savoirs collectifs et la pratique de débats et de délibérations. Le web herméneutique désigne des supports, des fonctionnalités et des interfaces numériques qui ne reposent pas seulement sur les calculs statistiques des algorithmes, mais qui laissent des champs ouverts pour les interprétations et les expressions singulières. Le web herméneutique ne désigne donc pas un modèle unifié ni un dispositif existant, que l’on pourrait trouver quelque part et dont on pourrait s’emparer : il s’agit plutôt d’un ensemble de principes organologiques, qui peuvent servir de sources d’inspiration pour concevoir et développer des dispositifs numériques différents, permettant la confrontation des interprétations singulières et le partage de savoirs collectifs et non la collecte des données personnelles et la constitution de foules mimétiques.

Pour comprendre comment Stiegler en est venu à ces propositions, il peut être utile de remonter un peu en amont de ses réflexions. En effet, dans les années 1990, à la même époque de Derrida et Guattari, Stiegler s’était lui aussi intéressé à l’informatisation de la sociétés et avait lui aussi vu s’ouvrir avec les technologies numériques des potentialités inédites. En effet, selon Stiegler, le principal problème posé par les médias audiovisuels est leur caractère unidirectionnel : le spectateur d’une émission de télévision reçoit un contenu qui a été produit pour lui, il est donc dans une position de pure réception. De plus, sa conscience s’entrelace au flux de l’émission : son attention est captée ou captivée et comme il doit suivre le rythme de l’émission, il ne peut réfléchir en même temps58. De plus, à l’époque de la télévision, il était impossible de revoir les émissions dans l’après-coup, et il était donc impossible de les analyser et de les critiquer : c’est d’ailleurs ce qui constitue la grande différence entre les supports littéraux, comme le texte, qui sont spatiaux, et les supports audiovisuels, comme les émissions, qui sont temporels. Le lecteur d’un texte temporalise le texte : il le lit à son rythme et si tel ou tel argument ne lui semble pas convaincant, il a la possibilité de le relire pour vérifier le raisonnement, il peut aussi comparer le début du texte à la fin du texte, pour voir si ce qu’annonce l’auteur correspond bien à ce qu’il fait, ou s’il n’essaie pas de le tromper. Bref, comme l’a souligné la relecture du texte dans l’après-coup permet l’exercice de l’esprit critique, qui a été formé durant l’éducation, à travers l’apprentissage de la lecture, de l’écriture et de l’argumentation notamment. Si vous êtes en désaccord avec le texte proposé, vous pouvez toujours produire un autre texte pour le contredire, car en apprenant à lire, vous avez aussi appris à écrire (un lecteur est aussi toujours, au moins en droit, un écrivain, car apprendre à lire suppose d’apprendre à écrire - vous ne pouvez pas lire si vous ne savez pas écrire, vous ne pouvez pas recevoir un message textuel si vous ne pouvez pas produire un message textuel) En ce sens, le milieu de l’écriture implique une certaine réciprocité entre producteur et récepteur, qui disparaît avec les technologies analogiques. En effet, dans le cas des médias audiovisuels, la situation est très différente : il devient cette fois tout à fait possible d’écouter une émission de radio ou de regarder une émission de télévision, donc de recevoir des symboles audiovisuels, sans être capables de produire soi-même de telles émissions, et même, sans avoir aucune idée de la manière dont ces émissions ont été produites. La plupart des personnes qui regardent le journal de 20h n’ont aucune idée de la manière dont cette émission a été produite, car elles n’ont jamais été formées aux techniques de la production audiovisuelle (captation, cadrage, montage, post-production), elles ne peuvent pas non plus analyser les contenus reçus, car elles ne peuvent pas revoir ces contenus qui leurs sont imposés selon des programmes prédéterminés, et évidemment, elles ne peuvent pas produire de tels contenus, car cette fonction est réservée aux journalistes professionnels (tel que les décrit Bourdieu dans son analyse sociologique de la télévision). Bref, les médias audiovisuels instaurent une rupture structurelle entre les producteurs de symboles d’un côté, et les récepteurs de symboles de l’autre : c’est cette situation que Stiegler décrit comme une situation de « misère symbolique59 », dans laquelle les récepteurs sont privés de tout droit de réponse, condamnés à subir les contenus qui leurs sont imposés par les programmes télévisés, et à devenir des consommateurs d’informations dont le temps de cerveau peut être exploité par la publicité.

Or, c’est précisément cette situation de misère symbolique que les technologies numériques permettait de transformer : non seulement parce qu’elles mettent entre les mains de tous les citoyens les outils auparavant réservés aux professionnels de l’audiovisuel, mais aussi parce qu’elles permettent de revoir les contenus reçus, et à l’aide de certains logiciels, de décomposer les flux en différents plans, d’isoler les images et les sons, de mettre au jour les techniques de cadrage, de montage, et toutes les manipulations qui ont rendues possible la fabrication des émissions. Les logiciels d’analyse de film, comme le logiciel Ligne de temps60 (que Stiegler avait développé dans le cadre de l’Institut de Recherche et d’Innovation), permettent d’analyser les flux d’images reçus comme on analyse les textes : non plus en examinant les techniques de grammaire, d’argumentation ou de rhétorique qui ont permis la construction du texte à travers le montage des mots et des phrases, mais en examinant les techniques de cadrage, d’enregistrement, d’assemblage, qui ont permis la construction de l’émission à travers le montage des sons et des images. Car comme le disait Derrida, quand bien même on aurait l’impression d’être envahi « par une image globale et inanalysable, indissociable », « il y a bien un montage d’éléments discrets », « il y a aussi, sinon un alphabet, du moins une sérialité discrète de l’image ou des images », qu’il faudrait apprendre « à discerner, à composer, à coller, à monter »61. Si de tels dispositifs étaient développés, pratiqués et diffusés dans la société, ils pourraient permettre l’exercice d’un véritable esprit critique à l’égard des médias numériques. Mais de même que pour pouvoir lire un texte de manière critique, il faut avoir auparavant intériorisé et pratiqué les techniques de l’écriture au cours de l’éducation, de même, pour pouvoir voir une émission de manière critique, il faut auparavant avoir intériorisé et pratiqué les techniques de production audiovisuelles, au cours de ce qui devrait sans doute devenir aujourd’hui une éducation aux médias, visant la formation d’un esprit critique « post-médiatique ». La formation d’un tel esprit critique, à la fois cultivé et instrumenté, permettrait sans doute beaucoup mieux de lutter contre les enjeux de l’ « ère post-vérité » que toutes les tentatives visant à sélectionner les bons contenus et à éliminer les mauvais, comme si la vérité pouvait être donnée une fois pour toute par des experts ou des algorithmes, alors même que comme le rappelait Proust, « nous ne pouvons recevoir la vérité de personne (…) nous devons la créé nous-mêmes62 ». En ce sens, la question posée par l’ère post-vérité est sans doute moins celle de savoir comment contrôler les contenus diffusés que celle de savoir comment donner aux publics les capacités matérielles, techniques et pratiques de « créer » de la vérité, c’est-à-dire, d’exprimer leurs singularités et de se confronter à l’altérité.

Pour cela, il semble nécessaire non seulement de développer des savoirs à la fois techniques et critiques des images animées numériques, mais aussi d’expérimenter de nouveaux dispositifs et de nouvelles pratiques médiatiques, fondées sur la contribution critique des citoyens, en leur donnant non seulement la possibilité de « liker » ou de suivre les vidéos qu’ils ont aimées, mais surtout, de les annoter, de les commenter, d’exprimer leurs interprétations singulières, de les confronter avec les interprétations de leurs pairs, de se suggérer à eux-mêmes des contenus et d’engager ainsi entre eux des controverses ou des débats argumentés, au cours desquels seulement lesdites « vérités » peuvent émerger. S’il est aujourd’hui possible pour les utilisateurs de commenter les vidéos sur des plateformes comme Youtube, il demeure impossible de les annoter ou de les indexer dans le fil de la vidéo, pour permettre de retrouver un passage précis ou pour sélectionner les moments qui semblent pertinents ou problématiques. C’est ce type d’indexation et d’annotation au fil de la vidéo que rend possible une plateforme comme Ligne de temps63, qui permet aussi de confronter les commentaires les uns aux autres en fonction de leur contenu, et de créer ainsi des groupes d’annotateurs ou des communautés critiques autour des vidéos indexées, annotées et commentées. Les supports numériques pourraient alors devenir le lieu de pratiques de nouvelles formes d’intelligence collective : en effet, contrairement à la page du livre ou à l’écran de télévision, les supports numériques permettent aux différents récepteurs d’inscrire la diversité de leurs interprétations dans le fil des textes ou dans le flux des images et des sons ou, de partager leurs annotations et leurs commentaires sur des plateformes contributives, ouvrant ainsi de nouveaux espaces de controverses, au sein desquels les individus peuvent exprimer leurs points de vue singuliers et les confronter avec d’autres points de vues, afin de délibérer sur toutes sortes de sujets ou de contenus, selon des règles collectivement décidées, explicitement publiées et techniquement implémentées64. Dès lors, toutes sortes de conflits d’interprétation et de débats argumentés pourraient voir le jour, autour de contenus textuels ou audiovisuels et au sein de communautés polémiques partageant des langages d’annotation et des catégories d’indexation. Il ne s’agirait alors plus seulement de produire des contenus différents ou alternatifs, comme le proposent aujourd’hui de nombreux automédias ou médias indépendants, mais de transformer le fonctionnement même des dispositifs (le design, les fonctionnalités, les interfaces), pour redonner aux publics des possibilités de s’exprimer singulièrement et de débattre collectivement, bref, de devenir des « groupes sujets » dans un milieu qui pourrait alors être qualifié de « post-médiatique », car il aurait dépassé la situation de misère symbolique que les médias audiovisuels avait instituée. Les automédias, qui œuvrent pour mettre les nouvelles technologies au service de la démocratie, pourraient jouer un rôle crucial dans cette bifurcation vers un numérique contributif, en s’associant avec les institutions scolaires, qui ont pour fonction de former l’attention des futurs citoyens, avec les institutions universitaires, qui ont pour fonction de constituer des savoirs certifiés, avec les associations du logiciel libre, qui ont pour fonction de produire des technologies ouvertes, mais aussi avec les professionnels des médias et du journalisme, et avec tous les représentants politiques et les acteurs économiques désireux de protéger les conditions de possibilité du débat public dans le milieu post-médiatique numérique.


1 F. Guattari, Les trois écologies, Paris, Galilée, 1989, p. 61.

2 Ibid., p. 32.

3 Ibid., p. 35.

4 Ibid., p. 22.

5 Ibid., p. 16.

6 Ibid., p. 40.

7 Ibid., p. 44.

8 Ibid., p. 42.

9 Ibid., p. 44.

10 Ibid., p. 18.

11 Ibid., p. 12.

12 Ibid., p. 23.

13 F. Guattari et J. Robin, « Révolution informationnelle, écologie et recomposition subjective », Multitudes n°24, 2006.

14 F. Guattari, Les trois écologies, op. cit., p. 13.

15 F. Guattari, « Pour une refondation des pratiques sociales », Le monde diplomatique, 1992.

16 Ibid.

17 F. Guattari, « Vers une ère post-média » (1990), Chimères n°28, 1996.

18 F. Guattari, Lignes de fuites, Paris, Editions de l’Aube, p.

19 F. Guattari, « Vers une ère post-média » (1990), art. cit.

20 Ibid.

21 F. Guattari, Les trois écologies, op. cit., p. 61.

22 F. Guattari, « Vers une ère post-média » (1990), art. cit.

23 F. Guattari, « Pour une refondation des pratiques sociales », art. cit.

24 F. Guattari, « Qu’est-ce que l’écosophie ? », Terminal, n°26 et F. Guattari et J. Robin, « Révolution informationnelle, écologie et recomposition subjective », art. cit.

25 J. Derrida, Spectres de Marx, Paris, Galilée, 1993, p. 92.

26 J. Derrida et B. Stiegler, Échographies de la télévision, Paris, Galilée, 1996, p. 16.

27 Ibid., p. 42 et p. 70.

28 MTT, p. 155-156.

29 J. Derrida et B. Stiegler, Échographies de la télévision, op. cit., p. 68.

30 Ibid., p. 83.

31 Ibid., p. 45.

32 Ibid., p. 91.

33 Ibid.

34 Ibid., p. 93.

35 Ibid.

36 J. Derrida, « Qui a peur de la philosophie ? », Du droit à la philosophie, Paris, Galilée, 1990, p. 550.

37 J. Derrida et B. Stiegler, Échographies de la télévision, op. cit., p. 14.

38 La notion de « post-vérité » désigne la perte de critères rationnels dans la sphère politique, où l’opinion et l’émotion se substituent aux débats argumentatifs, notamment en raison des interactions entre la politique et les nouveaux médias (Internet, réseaux sociaux, applications). Nous n’accréditons pas cette expression (problématique à de nombreux égards) mais la considérons ici à titre de symptôme : elle a été consacrée « mot de l’année » par le dictionnaire Oxford en 2016 et s’est vue intégrée dans les dictionnaires Larousse et Robert la même année. Voir la page Wikipédia dédiée à la notion : https://fr.wikipedia.org/wiki/Ere_post-vérité, et, pour plus de précisions, les trois rapports publiés en 2021-2022 par le Conseil National du Numérique sur les savoirs, les fausses informations et l’économie de l’attention : https://cnnumerique.fr/nos-travaux.

39 C. Crouch, Post-démocratie, Paris, Diaphanes, 2013.

40 P. Le Lay, Les dirigeants face au changement, Paris, Éditions du Huitième jour, 2004.

42 J. Crary, 24/7 Le capitalisme à l’assaut du sommeil, Paris, La découverte, 2014.

43 Sur les technologies « dopaminergiues », voir la websérie Dopamine de Léo Favier produite par Arte : https://www.arte.tv/fr/videos/RC-017841/dopamine/

44 Pour plus de détails sur l’économie numérique de l’attention, voir le rapport du Conseil National du Numérique publié en 2022 sur ce sujet : https://cnnumerique.fr/votre-attention-sil-vous-plait-quels-leviers-face-leconomie-de-lattention

45 B.-J. Fogg, Persuasive technology : using computers to change what we think and do, Morgan Kaufmann Publishers, 2002.

47 M. Desmurget, La fabrique du crétin digital. Les dangers des écrans pour nos enfants, Paris, Seuil, 2019.

48 K. Hayles, « Hyper and deep attention : the generational divide in cognitive modes », Profession, 2007.

51 Geoff Schullenberger, « Human sacrifice and the digital business model », Tablet, 2020.
En ligne : https://www.tabletmag.com/sections/science/articles/sacrificial-games-cancel-culture

52 « Les mécanismes de gamification qui nous précipitent vers l’indignation envers nos ennemis nous poussent également à continuer à utiliser les plateformes. Plus nous sommes nombreux à être fascinés par les spectacles de victimisation, plus les plateformes génèrent des revenus importants. Comme un dieu assoiffé de sang, le business des plateformes se nourrit du sacrifice », Geoff Schullenberger, « Human sacrifice and the digital business model », art. cit.

53 Geoff Schullenberger, « Mimesis and violence. Peter Thiel’s French connection », Cyborgology, 2016.
En ligne : https://thesocietypages.org/cyborgology/2016/08/02/mimesis-and-violence-part-1-peter-thiels-french-connection/

54 H. Verdier et J.-L. Missika, Le business de la haine. Internet, la démocratie et les réseaux sociaux, Paris Calman Lévy, 2022.

55 C. Collomb, I. Galligo, et F. Pais, « Les algorithmes du désir : enquête sur le design libidinal de Tinder », Sciences du Design, vol. 4, n° 2, 2016.

56 La démarche organologique proposée par Bernard Stiegler est une démarche de recherche qui propose d’étudier la co-évolution entre les organismes vivants (psychosomatiques), les organes techniques et les organisations sociales : il s’agit donc de soutenir qu’un dispositif technique n’est pas neutre, mais a toujours une influence sur les psychismes et les sociétés, sur les manières de penser et de vivre collectivement. Voir la définition de l’organologie générale sur le site d’Ars Industrialis (association fondée par Bernard Stiegler) : https://arsindustrialis.org/organologie-g%C3%A9n%C3%A9rale

57 Par exemple, B. Stiegler et J. Derrida, Échographies de la télévision, op. cit. ; B. Stiegler et al., Pour en finir avec la mécroissance, Paris, Flammarion, 2009 ; B. Stiegler, La société automatique, Paris, Fayard, 2015 ; B. Stiegler et al., Bifurquer, Paris, Les liens qui libèrent, 2020.

58 B. Stiegler, La technique et le temps, t. 3 Le temps du cinéma et la question du mal-être (2001), Paris, Fayard, 2018, §2 et §14.

59 B. Stiegler, De la misère symbolique, Paris, Flammarion, 2013.

61 B. Stiegler et J. Derrida, Échographies de la télévision, op. cit., p. 70.

62 M. Proust, Sur la lecture (1906), Paris, Actes Sud, 1993.

64 B. Stiegler et al., Bifurquer, op. cit., chap. 7 « Design contributif et technologies numériques délibératives : vers une générativité sociale dans les sociétés automatiques ».

Citer cet article

Alombert, Anne. "De l’« ère post-média » à l’« ère post-vérité », et au-delà ?. Des « technologies persuasives » aux « technologies contributives »", 20 mai 2023, Cahiers Costech, numéro 6.

DOI https://doi.org/10.34746/cahierscostech157 -
URL https://www.costech.utc.fr/CahiersCostech/spip.php?article157