Auteur(s)

Jean Dhombres est directeur d’études (histoire des sciences exactes) à l’EHESS (Centre Koyré) et directeur de recherche au CNRS. Ses recherches portent sur l’analyse fonctionnelle et les équations fonctionnelles et de nombreux aspects de l’histoire des sciences mathématiques.

Je reconnais le paradoxe qu’il y a à parler d’imprescriptibilité - terme juridique - à propos d’une réflexion épistémologique que je veux mener et qui est fortement installée dans l’histoire, et donc forcément relative. Elle ne saurait être concluante à la façon d’une vérité nécessaire, comme les aiment tant les mathématiciens. Pourtant je veux faire comprendre à quel point le calcul est un processus cognitif qui a ses référents propres, et qu’à les ignorer l’enseignant, d’ailleurs à tous les niveaux jusqu’à celui de la recherche, risque de bloquer le travail de l’apprenant. Et nous sommes tous des apprenants, peut-être même de ce que nous découvrons.
Certes le terme « calcul » requiert une description, sinon une définition. Et si je dois progressivement y venir en suivant le logicien Alan Turing sans pour autant penser que cette définition ait été prévue, donc en envisageant sa définition comme une ligne de mire, je peux quand même faire ressortir l’originalité ancienne de la pratique des calculs et ainsi faire la différence avec la pratique du raisonnement de type géométrique sur figures, du raisonnement de type logique (par le syllogisme), et plus généralement du raisonnement rhétorique ou analogique (par d’autres figures, celles de style). Non en vue d’établir une typologie des calculs, mais pour me permettre de voir les interventions effectives des techniques de calcul. Sans pour autant réduire tous les calculs au Calcul, le nom qui a été trouvé pour désigner d’un seul mot le calcul différentiel et intégral qui date du XVIIe siècle.
On doit éradiquer l’idéologie spontanée, qui consiste à dire que le calcul est part technique, et s’intéresser à ce que voulait signifier Leibniz lorsqu’il évoquait un jeu de « pensées aveugles » à propos des différentielles et surtout de leurs manipulations. L’expression est certes paradoxale, mais je veux l’explorer de façon pratique en accompagnant justement la notion de calculable qui tient à ces manipulations. En fait je vais me limiter aux manipulations d’un Roberval qui peuvent passer pour une préhistoire du Calcul. Car il s’agit de comprendre un des sens du mot analyse dans le cadre de la pensée mathématique, et pourquoi l’expression « Analyse » a largement recouvert le Calcul proprement dit. Et pourquoi on a eu besoin d’une autre expression, celle d’Analyse de Fourier. Qui peut en effet prétendre qu’une pensée soit limitée à son champ d’exercice ? L’épistémologie historique des mathématiques n’a pas vocation à animer un club de spécialistes.
Mon approche, que j’espère suffisamment sérieuse même si elle surfe sur bien des résultats mathématiques, n’est pas classique en histoire des sciences : je profite d’une liberté d’expression que l’érudition empêche le plus souvent, et je ne choisis pas les textes les plus parcourus, ni les grandes déclarations, mais des textes dans lesquels se manifeste une expérimentation.

Citer cet article

Dhombres, Jean. "Quelle est la part imprescriptible du calcul en mathématiques ?. Discussion sur l’Analyse mathématique, avec en perspective le si bien nommé Calcul (différentiel et intégral), l’Analyse de Fourier, et en ligne de mire les explications de Turing sur le « calculable ».", 21 décembre 2018, Cahiers Costech, numéro 2.

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