Accueil >Membres > Loeve, Sacha
Mes recherches concernent principalement la philosophie des techniques et la technologie. Elles visent à réévaluer et à repenser l’objet technique comme nœud d’interaction entre pratiques narratives et pratiques matérielles. Mon approche n’est pas uniquement livresque : elle relève d’une « philosophie de terrain » s’appuyant sur des enquêtes empiriques ; elle s’intéresse tout autant aux articulations opératoires des techniques et technologies étudiées qu’aux pratiques, méthodes et récits des scientifiques, ingénieurs, technologues et chercheurs en sciences humaines et sociales avec lesquels j’inscris mon travail en interdisciplinarité.
Projet HOMTECH | Sciences de l’HOMme en univers TECHnologique | FEDER Picardie 2015-2017
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Ma thèse de doctorat interroge le sens du concept de « technologie » dans les nanotechnologies (Paris Ouest Nanterre 2005-2009). Alors que la plupart des discussions épistémologiques portaient sur la nouveauté présumée de ces pratiques de manipulation de la matière à l’échelle du nanomètre (1 milliardième de mètre) et donc sur la définition du « nano », il s’agissait de partir de l’hypothèse que ce qui pose problème dans l’expression « nanotechnologies », c’est moins le sens du préfixe « nano » que celui de « technologie ». Or les discours d’accompagnement des nanos font systématiquement l’économie de cette question, tantôt noyée dans l’étude prospective des « impacts potentiels » des applications futures des nanos, tantôt évacuée au nom de la distinction entre « nanosciences » et « nanotechnologies », les premières désignant la recherche en amont, et les secondes les applications pratiques, dont les plus « révolutionnaires » seraient encore à venir...
Au lieu de ne considérer la technologie des nanos qu’au futur, je me suis intéressé à des pratiques actuelles relatives à une famille singulière d’objets techniques « nano », à l’étude en laboratoire, les machines moléculaires. Les machines moléculaires artificielles sont des molécules conçues, étudiées et mises en fonctionnement comme des machines ; elles sont synthétisées par des chimistes et manipulées individuellement par des physiciens sous la pointe du microscope à effet tunnel (STM) ; les machines moléculaires naturelles sont les protéines du métabolisme, étudiées, modélisées et parfois re-fonctionnalisées par des biophysiciens. Il s’agissait de suivre ces objets sur trois plans :
(1) dans les discours d’accompagnement des nanotechnologies. Ces « grands discours » invoquent les machines moléculaires comme des êtres prospectifs, des figures de proue d’une technologie future abolissant toute séparation entre la nature et l’artificiel et promettant à l’homme une maîtrise radicale de la matière.
(2) dans les pratiques matérielles des chercheurs (synthèse, expérimentation, imagerie, modélisation, simulation de machines moléculaires), au moyen d’enquêtes de terrains (visites de laboratoires, entretiens, observation participante) effectuées dans le cadre du projet ANR BIONANOETHIC (2004-2008). Ces enquêtes m’ont permis de montrer que la machine moléculaire n’était pas qu’une métaphore mais le point de convergence d’un ensemble d’opérations consistant à individualiser fonctionnellement l’objet « molécule ».
(3) sur le plan des techniques d’imagerie. Les images de ces nano-objets ne sont pas des représentations mais des « images-objets » permettant d’explorer le sensible à l’échelle nano et de l’articuler avec nos capacités sensori-motrices à l’échelle macro ; elles forment une membrane qui à la fois relie et sépare les pratiques et les discours, l’échelle nano et l’échelle macro, l’opératoire et le symbolique, le fonctionnement et les valeurs.
Cette étude centrée sur l’objet « molécule-machine » et ses multiples dimensions (récits, pratiques, images) a permis de faire émerger un concept de technologie original, consistant en un mode de connaissance sui generis, concerné et suscité par l’individuation fonctionnelle des molécules dans un milieu associé incluant les dispositifs utilisés pour les objectiver. Ce mode de connaissance emprunte aux différents corpus des sciences physiques, chimiques et biologiques, et y contribue dans certains cas. Mais il s’en distingue néanmoins par un logos distinctif qui ne relève ni de la théorie scientifique visant la généralisation distanciée, ni de la rationalité instrumentale visant l’application immédiate, mais de la narration visant ce que j’ai appelé une « imagin’action » des schèmes techniques. D’où l’importance conférée aux « petits récits techniques » de genèse fonctionnelle de nano-objets dont ma thèse se faisait la caisse de résonance. Il s’agissait de renégocier les valeurs de domination de la nature véhiculés par les « grands discours » des nanos à l’aune de celles que l’on pouvait faire émerger de ces petits récits : des valeurs de soin, de tact, de partenariat avec la nature, de respect actif des singularités et d’attention aux milieux associés. Il s’agissait enfin, en revisitant et en transformant l’ancien sens de « techno-logie » (connaissance des techniques), de faire alternative à la conception applicationniste, anthropologique et instrumentale de la technologie qui oriente massivement les politiques de recherche comme les discours de promotion (ou de dénonciation) des nanotechnologies et de montrer que, même au cœur des technosciences, le débat sur la signification du concept de « technologie » n’est pas clos, et qu’il est chargé d’enjeux tant épistémologiques que politiques.
J’ai ensuite travaillé trois ans comme postdoc dans le projet franco-allemand ANR-DFG GOTO, « Genèse et Ontologie des Objets Technoscientifiques » (2010-2013), codirigé par Bernadette Bensaude-Vincent (Paris 1 Sorbonne) et Alfred Nordmann (Technische Universität Darmstadt). Ce programme était destiné à jeter les bases d’une philosophie des technosciences à partir de l’analyse ontologique de leurs objets : quel genre d’objet un objet technoscientifique est-il ? En quoi n’est-il pas le même genre d’objet qu’un objet scientifique ou qu’un objet technique ? Il s’agissait de montrer que le concept de technoscience est bon à penser, qu’il ne sert pas seulement à tout mélanger mais qu’il a aussi des vertus analytiques et critiques. Ce programme a débouché sur l’édition d’un volume collectif, Research Objects in their Technological Settings (à paraître chez Routledge) dans lequel chaque contribution est consacrée à l’analyse narrative d’un objet technoscientifique : plantes transgéniques, carottes de glace polaire, nano-surfaces sans friction, héroïne, cellules souches, écosystème artificiel, robots en essaim, et mon objet d’élection, le carbone et ses multiples modes d’existence, de l’élément chimique aux nanotechnologies du graphène en passant par le marché des émissions de CO2.
J’ai continué à travailler en parallèle sur les nanotechnologies dans le cadre du programme ANR NANO2E, « Nanotechnologies : Éthique et Épistémologie » (2009-2013), coordonné par Xavier Guchet (Paris 1 Sorbonne). Ce projet visait à proposer une approche de régulation normative des nanotechnologies articulée à une analyse épistémologique du mode d’existence de leurs objets. J’ai réalisé dans ce cadre une étude en collaboration avec B. Bensaude-Vincent et plusieurs scientifiques du domaine sur le statut des métaphores militaires en nanomédecine (« bombes intelligentes », « nanomissiles ciblés », etc.). Notre analyse montrait que ces métaphores n’étaient pas seulement des outils de communication ou de vulgarisation mais des énoncés performatifs offrant une heuristique pour la conception d’objets tels que les « systèmes de délivrance ciblés de médicament » et les « nano-vecteurs furtifs », et allant jusqu’à avoir un impact effectif sur la manière dont ces objets sont synthétisés et mis en fonctionnement. Au lieu de critiquer ces métaphores de manière frontale et idéologique, nous avons montré sur des cas concrets comment elles limitaient l’efficacité et les possibles de ces techniques en suscitant des illusions de contrôle (le plus souvent déçues). Puis nous débattu avec les scientifiques de la possibilité de co-construire d’autres métaphores orientant la conception, en particulier celle du corps comme oïkos et de la nanomédecine comme oïkologie ou « écologie domestique ». Les chercheurs en nanomédecine nous ont alors présenté des développements concrets susceptibles de s’intégrer dans le cadre d’une telle métaphore ; nous leur avons proposé une reconceptualisation des nanoparticules thérapeutiques comme des objets relationnels définis par les affordances du milieu biologique plutôt que comme des substances définies par leurs propriétés intrinsèques, et de la nanomédecine anticancéreuse comme art de domestiquer plutôt que d’éradiquer le cancer.
En 2014, j’ai travaillé sur la biologie de synthèse comme postdoc rattaché au CETCOPRA (Paris 1) dans le cadre du projet européen SYNENERGENE (« Synbio : Engaging with New and Emerging Science and Technology in Responsible Governance of the Science and Society Relationship », 2014-2018), coordonné par Christopher Coenen (Karlsruher institut für Technologie). Le projet vise à promouvoir et à initier une mise en débat publique de la biologie de synthèse par un processus d’apprentissage mutuel entre parties prenantes issues de la recherche, de l’industrie, de la société civile, de l’éducation, de l’art et du design. En partenariat avec l’Institut d’éthique d’histoire de la médecine de l’Université de Freiburg (Joachim Boldt) et en impliquant les étudiants-ingénieurs du cours sur « sciences, techniques et arts » dont j’étais alors chargé à l’ENPC ParisTech, j’ai organisé et co-organisé une série d’ateliers sciences-humanités-arts visant à faire émerger les multiples valeurs et les « mondes possibles » associés aux différentes cultures techno-épistémiques de la biologie de synthèse afin d’identifier les éventuels « incompossibles » devant faire l’objet de choix de société.
Depuis 2015, j’ai intégré l’équipe CRED du COSTECH pour travailler au projet HOMTECH, « Sciences de l’homme en univers technologique », qui vise à instruire de manière épistémologique, historique et empirique la question de la singularité des méthodes, des pratiques et des finalités de la recherche en SHS (Sciences Humaines et Sociales) lorsqu’elle s’inscrit dans un univers de formation et de recherche technologique (universités de technologie et écoles d’ingénieurs). Trois axes de travail sont déployés :
(1) un axe de travail historique, épistémologique et sociologique portant sur les modalités de construction et de déploiement de la technologie comme étude fondamentale du fait et du faire technique ;
(2) un axe anthropologique, visant à observer et à décrire les pratiques de recherche concrètes des chercheurs en SHS en environnement technologique et leurs modalités effectives d’interdisciplinarité en SHS et avec les sciences et techniques de l’ingénieur (STI) ;
(3) et, enfin, un axe interrogeant spécifiquement les relations entre SHS et innovation, au moyen de l’élaboration et de l’évaluation empirique d’une hypothèse portant sur le caractère innovant technologiquement de la recherche en SHS lorsqu’elle travaille avec la technologie, sur la technologie, mais pas nécessairement en poursuivant centralement et explicitement des objectifs d’innovation.
HE01 - Épistémologie et histoire des sciences
2015- Membre du Groupement d’intérêt scientifique pour l’Unité de la Technologie et des Sciences de l’Homme (UTSH).
2014-2015 Secrétaire de rédaction du site TempTech, "Les temporalités de la technique : objets, acteurs, régimes de pensée".
2013- Membre du Centre International des Etudes sur Simondon (CIDES).
2013- Membre de la Commission on the History of Modern Chemistry (CHMC).
2009- Membre du bureau "Nanosciences et Société" du centre de compétences C’nano Île-de-France : financement et expertise de projets de recherche en SHS et bio/éco-toxicologie sur les nanosciences et nanotechnologies ; mise en place d’actions de formation et d’espaces de discussion avec les chercheurs en nanosciences et nanotechnologies ; participation à des projets de recherche interdisciplinaires.
2009-2013 Membre du CA de VivAgora, association dont les missions sont de mettre en culture l’innovation, promouvoir une contribution citoyenne effective aux choix scientifiques et techniques, mettre en place des actions de concertation multi-acteurs, et promouvoir la prise en compte institutionnelle de ces actions par les pouvoirs publics.
2010 Membre du Groupe de concertation transversal du secteur Sciences et Société de la Direction Générale pour la Recherche et l’Innovation : groupe de travail sur le rôle de l’Etat en matière d’initiative et de pilotage du débat public sciences/société.
2010- Directeur éditorial du site « Sciences : histoire orale » (en construction).
2015- Post-doctorat. COSTECH, Université de Technologie de Compiègne. Programme FEDER Picardie HOMTECH, « Sciences de l’homme en univers technologique ».
2015- Enseignant vacataire. Département Technologie et Sciences de l’Homme (TSH). Université de Technologie de Compiègne. Cours : Histoire des sciences et épistémologie (HE01).
2014-2015 Post-doctorat. CETCOPRA, Université Paris 1 Panthéon - Sorbonne. Programme européen SYNENERGENE, “Synthetic Biology – Engaging with New and Emerging Science and Technology in Responsible Governance of the Science and Society Relationship”.
2012-2014 Enseignant vacataire. Département de Sciences Humaines et Sociales de l’École nationale des ponts et chaussées - ENPC ParisTech. Responsable du module « Sciences, techniques et arts » (SCITA).
2010-2013 Post-doctorat. CETCOPRA, Université Paris 1 Panthéon - Sorbonne. Programme franco-allemand ANR-DFG en Sciences humaines GOTO, “The Genesis and Ontology of Technoscientific Objects”.
2010 Titularisation en qualité de Professeur agrégé de classe normale en philosophie. En disponibilité pour recherche depuis septembre 2010.
2009-2010 Professeur de Philosophie en classe de Terminale S. Lycée général et technologique Jean Vilar, Plaisir. Stage d’agrégation en responsabilité (sans tuteur, dans le cadre d’un remplacement).
2008-2009 ATER. Université Claude Bernard - Lyon 1. Service Commun de Sciences Humaines et Sociales.
2007-2008 Enseignant vacataire en philosophie des sciences. Université Paris Ouest - Nanterre La Défense. Cours : La tradition française de philosophie des sciences au début du XXe siècle.
2005-2009 Thèse de doctorat en Philosophie, Epistémologie, Histoire des Sciences et des Techniques. Université Paris Ouest - Nanterre. Supervision : B. Bensaude-Vincent. « Le concept de technologie à l’échelle des molécules-machines. Philosophie des techniques à l’usage des citoyens du nanomonde ». Mention Très Honorable. Félicitations du Jury.
2004-2005 M2 Philosophie. Université Paris Ouest - Nanterre. Mémoire : « Déphasages : penser la relation entre vivants et techniques avec Bergson et Simondon ». Mention Très Bien.
2004 Agrégation externe de Philosophie.
2002-2003 Préparation de l’Agrégation externe de Philosophie. Admissibilité.
2001-2002 M1 Philosophie. Université Paris Ouest - Nanterre. Mémoire : « Plus qu’individuel : une philosophie du sujet chez Gilbert Simondon ? ». Mention Très Bien.
2000-2001 Licence de Philosophie. Université Paris Ouest - Nanterre. Mention Bien.
1998 -2000 Classes Préparatoires Littéraires. Hypokhâgne, khâgne. Lycée Condorcet, Paris.
1998 Baccalauréat Littéraire. Lycée Pierre d’Ailly, Compiègne. Mention Bien.
Agrégé de philosophie
Docteur en épistémologie, histoire des sciences et des techniques
Post-doc : projet HomTech
Membre du GIS UTSH : Unité de la Technologie et des Sciences Humaines
Adresse postale
Université de Technologie de Compiègne
Centre Pierre Guillaumat
BP 60319 | Rue du Docteur Schweitzer
60203 Compiègne Cedex France
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