Plan
Introduction
Si la fabrique institutionnalisée de l’information et sa médiatisation restent principalement l’affaire de professionnels appelés « journalistes », qui répondent à des valeurs, des critères et des protocoles enseignés dans des écoles de journalisme et consignés dans des chartes (ce qui ne contredit pas un constat sur la diversité des genres et des pratiques journalistiques), il semble que la démocratisation de la production et de la communication de l’information transforme aujourd’hui leurs valeurs et fabriques. Cette démocratisation est produite par le développement et l’usage conjoints des technologies numériques de l’information et de la communication (TNIC), des plateformes médiatiques dominantes (GAFAM), de réseaux sociaux numériques alternatifs (Discord, Mastodon, Telegram, etc.), mais aussi, notamment en France, par l’avènement de mouvements socio-politiques populaires réclamant davantage de démocratie – et ainsi de pluralisme idéologique et sociologique (Cardon et Granjon, 2013).
C’est ce qu’illustre de manière exemplaire le mouvement populaire des Gilets Jaunes en France (Ertzscheid, 2019) – dont on retrouve plusieurs caractéristiques médiatico-politiques ces quinze dernières années dans d’autres pays (toutes sensibilités politiques confondues), tels que le mouvement « 5 étoiles » en 2009 en Italie, le « Printemps arabe » en 2010 en Afrique du Nord, le mouvement de l’ « Alt-Right » aux États-Unis en 2016 (concomitant avec la victoire de Donald Trump) ou encore le soulèvement insurrectionnel à Hong Kong contre le pouvoir de Pékin en 2019-2020. Le mouvement des Gilets Jaunes a conduit à la résurgence et au développement sur Internet de médias dits « populaires »1 qui ont réalisé de nombreuses expérimentations médiatico-politiques, individuelles ou collectives, indépendantes d’une formation professionnelle, d’une corporation ou d’une institution de représentation et de légitimation. La fonction vidéo qui équipe les smartphones, associée à l’usage des réseaux sociaux numériques (RSN), a favorisé la démocratisation de la production médiatique (Nova, 2020), en permettant à tout individu de révéler, relayer et rendre public sur Internet des informations à caractère politique, prises sur le vif, comme en témoigne le film de David Dufresne « Un pays qui se tient sage »2, qui compile des dizaines de séquences vidéo réalisées avec des smartphones lors des manifestations des Gilets Jaunes.
Avec le mouvement des Gilets Jaunes, un acteur politique est apparu avec force dans le champ des actions et des expériences démocratiques françaises : l’automédia. Que ce soit le geste auto-médiatique produit à la volée par un seul individu avec un smartphone, ou l’entreprise collective automédiatique déjà aperçue dans le champ des luttes démocratiques (Thiong-Kay, 2020) qui réinvente les formes des médias tactiques (Garcia et Lovink, 1997) et des médiactivistes (Cardon et Granjon, 2013), l’automédiation désigne l’autoproduction et l’autodiffusion de l’information à caractère politique par l’usage ou la réinvention des appareils et circuits de communication numériques. Le geste amateur et le cadre initialement communautaire de la fabrique automédiatique constitue ainsi une extension de la culture maker au domaine de la fabrique médiatique.
Cependant, le déploiement des automédias se réalise aujourd’hui au sein d’un contexte techno-économique de post-vérité3, qui est apparu avec l’avènement d’un capitalisme informationnel (Castells, 1998, 1999a, 1999b) et d’une numérisation de l’information sur Internet. Cette évolution techno-économique détermine de nouvelles infrastructures numériques de l’information qui tendent à valoriser davantage une information pour le capital attentionnel numérique (Citton, 2017) qu’elle détient que pour sa valeur de vérité ; ce qui perturbe fortement le régime de vérité4 journalistique, et avec la fonction démocratique à laquelle il doit être consacré (Arendt, 1954 (1972) ; Revault d’Allonnes, 2018). Selon Bernard Stiegler (2018), le capitalisme numérique néo-computationnel, en disruptant les circuits et traitements traditionnels de l’information qui reposaient sur des processus de véridiction, certification et vérification, altère tout autant la production de l’information par les organisations journalistiques que sa réception par des publics variés, en provoquant des réactions de défiance, de méfiance, voire de haine envers les institutions journalistiques, alors accusées de trahir leur déontologie (Jost, 2020).
En conséquence, les individus accordent (parfois) davantage de crédit à une information délivrée par un·e proche – tel un automédia avec qui des affects communs sont partagés – que par une information produite et vérifiée (« fact-checked ») par une institution journalistique5. Il en résulte une crise des institutions et organisations journalistiques ainsi qu’une substitution des productions journalistiques par celles des automédias en tant que sources d’information, notamment pour les publics appartenant aux classes populaires, mais sans que ceux-ci ne formulent et ne se réfèrent à ce que nous pourrions nommer : un régime de vérité automédiatique. Ainsi, le contexte techno-économique de post-vérité, sous le règne des « GAFAM », favorise l’explosion du genre automédiatique (en particulier sur YouTube), en faisant fi de toute critériologie de droit et de toute domination du droit sur le fait (Stiegler, 2018) ; ce qui le constitue en retour – et souvent malgré lui – comme un acteur de la post-vérité.
Or, il importe de ne pas réduire le genre automédiatique aux formes « gafamisées » à partir desquelles se développent les designs et circuits techno-économiques de production et de réception de l’information, et dans lesquels se trouvent enfermés un grand nombre d’automédias. Bien que la figure dominante du YouTuber cristallise cette subjectivation techno-économique du genre automédiatique, et tandis que certains détracteurs du genre, qui se revendiquent d’une éthique journalistique, opposent le genre automédiatique et la production de vérité, nous postulons au contraire que cette opposition n’est pas valide si nous distinguons le genre automédiatique du contexte techno-économique au sein duquel il émerge depuis une quinzaine d’années.
En effet, la conquête de l’autonomie des automédias ne repose pas seulement sur celles de leurs libertés d’actions (ou d’entreprises) et de leurs indépendances financières – problèmes dont il a déjà largement été discuté au sein du milieu journalistique (Ramonet, 2011 ; Plenel, 2018, 2020, etc.) – mais aussi sur leurs capacités à réinventer leurs infrastructures technologiques et économiques ainsi que les valeurs, les normes, et les protocoles de production de l’information afin d’établir leurs nécessités et légitimités démocratiques et scientifiques. Il ne s’agit donc pas seulement de faire un usage politique d’une technologie commercialisée sur smartphone, mais de concevoir et de produire de nouvelles puissances (Lordon, 2015) techno-politiques à travers des projets collectifs à la fois technologiques, politiques et médiatiques. La catégorie des médias indépendants est donc appelée à évoluer vers celle des automédias, au sens littéral et exhaustif du terme « auto- », qui signifie « par soi-même », incluant dans une perspective médiartiviste (Citton, 2017) l’auto-design des circuits de production et de communication d’information.
Si comme l’affirme Jean-Marie Charon, « la reconquête de la confiance ne passe pas que par l’exercice de vérification6 », nous souhaitons interroger dans ce dossier l’hypothèse que la production d’une information vraie et les conditions de sa crédibilité auprès d’un public appartenant aux classes populaires peuvent être réagencés dans un design numérique et économique nouveau par le genre automédiatique. Ce dossier aura pour enjeu de proposer une réflexion sur les fondements et modèles épistémologique, économique, politique et technologique d’un nouveau régime de vérité automédiatique, qui favorise non seulement la démocratisation de la production et de la communication de l’information, mais en outre la réinvention de la valeur de vérité informationnelle, ainsi que celle de crédibilité informationnelle, à partir et auprès de publics populaires – c’est-à-dire la réinvention des rapports entre médias, vérité et démocratie par le genre automédiatique.
Comment les infrastructures numériques ont-elles transformé les pratiques makers des médias tactiques et du médiactivisme pour donner naissance au « tournant participatif » puis au genre automédiatique ? À quels dispositifs de pouvoir (Foucault, 1994) techno-économique les automédias sont-ils aujourd’hui assujettis et contraints dans l’expérimentation de nouvelles individuations automédiatiques ? Quelles sont les nouvelles valeurs, normes et protocoles médiatico-politiques portés et fabriqués par les automédias ? Comment redesigner la fabrique de l’information par des processus et circuits participatifs/contributifs pour produire confiance et vérité en l’information au sein de milieux populaires ?
Afin de travailler ces questionnements, nous avons proposé quatre quatre axes d’étude dans lesquels les contributions de ce numéro des Cahiers Costech s’inscrivent :
1/ Automédias : descriptions et typologies
Comment les infrastructures numériques ont-elles transformé les pratiques makers des medias tactiques et du médiactivisme pour donner naissance au « tournant participatif » puis au genre automédiatique ?
Les textes inscrits dans ce premier axe contribuent à proposer un panorama empirique et phénoménologique des automédias à partir d’une analyse des (infra-)structures, des individualités et des organisations automédiatiques existantes en France et aux Etats-Unis. Les contributions s’appuieront sur des entretiens réalisés avec des automédias pour nourrir ce premier axe de recherche. Ils auront pour enjeu d’approfondir une réflexion sur leurs processus d’individuation à partir des potentialités offertes par les infrastructures numériques, et notamment du « tournant participatif ». Les sciences de l’information et de la communication, les sciences politiques et la sociologie des médias pourront être convoquées pour cet objectif descriptif et typologique. Les infrastructures numériques de communication sur lesquels se développent les automédias permettent aujourd’hui une grande diversité de pratiques automédiatiques. Elles constitueront les matériaux de base nécessaires à l’élaboration de ce panorama. À cet égard, les facteurs distinctifs suivants sont à considérer :
- Le matériel numérique de captation (sonore, vidéo)
- Le matériel de création numérique pour l’édition textuelle, sonore ou vidéo.
- Les plateformes numériques ou réseaux sociaux utilisés (YouTube, Discord, Twitch, Facebook, Twitter, Mastodon, Peer-Tube, etc.)
- Le mode d’expression (textuel, vidéo, sonore)
- Le format d’expression (edito, zapping, interview, enquête, analyse ; direct ou différé ; improvisé ou lecture d’un prompteur, etc.)
- Le contexte d’enregistrement (en studio ou en extérieur)
- Le mode de financement (autofinancement, accès payant aux usagers, commission sur publicité, crowdfunding (quels outils numériques ?), financement public, etc.)
- L’échelle d’investigation (locale, nationale, etc.)
- Le rapport à un territoire ou à une communauté (revendication d’une échelle ou d’une culture territoriale ou communautaire.)
- Le rapport à une idéologie politique
- L’initiative du projet (individuelle ou collective)
- Le rapport à la création collective ou participative
- Le processus de création d’information (production d’information à partir d’interview ou d’enquêtes de terrain brutes, ou d’analyses de textes, de vidéos, d’enquêtes journalistiques).
- Le profil sociologique des automédias
- Le profil sociologique du public
- Les trajectoires personnelles des automédias
- Les relations d’interdépendance
- Les relations d’influence
- Les cartographies de l’offre automédiatique établie par les automédias eux-mêmes
- Les rapports d’opposition ou d’influence avec le journalisme
- Les interactions avec le public
2/ Les automédias face au capitalisme numérique : analyse d’un rapport de force techno-économique.
À quels dispositifs de pouvoir techno-économique les automédias sont-ils aujourd’hui assujettis et contraints dans l’expérimentation de nouvelles individuations automédiatiques ?
Les textes proposés dans cet axe cherchent à décrire et analyser les rapports de forces techno-politiques et dispositifs technologiques qui contraignent les individuations automédiatiques7 dans leurs processus d’expression et de communication. Celles-ci désignent le processus d’individuation et de singularisation des automédias, en ce que l’automédia est toujours constitué par un individu ou un collectif d’individus en relation avec un public auquel il s’adresse et avec lequel il communique, et des dispositifs, appareils ou prothèses techniques qui lui permettent d’enregistrer et de diffuser des flux sonores et vidéos. Cependant, ces individuations automédiatiques sont prises dans des dispositifs de pouvoir (Foucault, 1994) qui cadrent, orientent ou font obstacle à leurs projets afin de constituer des subjectivations automédiatiques8. En effet, les automédias sont aujourd’hui saisis dans des rapports de forces, parfois guerriers9, qui travaillent et agissent en profondeur sur leur dynamique d’individuation. Ces dispositifs de pouvoir les transforment alors en dynamiques de subjectivation, c’est-à-dire en médias dont l’individuation est assujettie aux acteurs technologiques et économiques dominants. Dans la perspective de notre réflexion sur les infrastructures technologiques de la post-vérité, nous souhaitons interroger un nouveau rapport de forces qui confronte les individuations automédiatiques aux grandes infrastructures technologiques privées qui leurs servent de supports d’expression et de communication. En soumettant celles-ci à différents règlements, designs et algorithmes édictés et produits par ces plateformes numériques (YouTube, Twitter, Facebook, etc.) – qui répondent notamment aux valeurs et logiques d’un capitalisme numérique (Srnicek, 2018), et conséquemment aux mécanismes de la grammatisation (Citton, 2014), du néo-computationnalisme (Stiegler, 2013, 2018) et de la gouvernementalité algorithmique (Rouvroy, Berns, 2013) – les automédias sont confrontés à une lutte contre ces infrastructures pour la défense de leurs libertés d’expression et de communication des informations qu’ils produisent, mais aussi à une guerre attentionnelle pour révéler certaines informations, ainsi qu’à des luttes pour en garantir la vérité et la crédibilité. L’enjeu de ce deuxième axe de recherche consiste à décrire les mécanismes et contraintes technologiques exercées par les grandes plateformes du capitalisme numérique sur les défis d’attention, de liberté, de vérité et de crédibilité des automédias.
3/ Les nouvelles valeurs, normes et protocoles automédiatiques
Quelles sont les nouvelles valeurs, normes et protocoles mediatico-politiques portés et fabriqués par les automédias ?
Le contexte de la post-vérité, se consolidant dès la seconde moitié des années 2010, semble aujourd’hui renouveler certaines distinctions entre journalisme et automédias, sur fond de conflits parfois violents entre leurs membres. En effet, nombre d’institutions journalistiques accusent les automédias d’être les auteurs ou les relais de thèses dites complotistes. Certaines de ces thèses dénoncent le contrôle des productions des organisations journalistiques par les sociétés capitalistes qui les financent, et en déduisent des processus de corruption de la déontologie journalistique qui masquent notamment les choix d’orientations idéologiques des informations ou enquêtes journalistiques fabriquées10. L’accusation de complotisme portée par certaines institutions journalistiques contre la production de fake news automédiatiques ou la prétendue « débilité » des analyses produites par certains automédias jette en retour un discrédit sur l’ensemble du genre automédiatique, accusé de manquer d’objectivité, d’impartialité, ou encore de distinction entre un fait et une opinion. Cela engendre en réaction une lutte interne chez certains automédias pour convaincre de la vérité et de la crédibilité des informations qu’ils produisent ou transmettent auprès de leurs publics. Rappelons que sur le plan de la normativité démocratique, l’énonciation de vérités de fait est considérée comme une valeur nécessaire à l’information de l’opinion publique et de l’instruction publique (Arendt, 1954 (1972) ; Revault d’Allonnes, 2018). Les automédias, en tant qu’acteurs nouveaux du combat démocratique, sont donc sommés d’en garantir la prégnance dans leurs productions. Cette lutte entre journalisme et automédia permet ainsi la réélaboration de valeurs médiatiques alternatives en même temps que la constitution de nouvelles communautés médiatico-politiques. Portés par des ambitions démocratiques et étouffés par le rapport de force techno-économique mentionné, cet axe vise à mettre en lumière l’effort de création normative des automédias sur les valeurs, les normes et les protocoles qui sous-tendent la production de leurs informations – distinctement de certains standards journalistiques.
4/ Design participatif, vers de nouveaux circuits de production de l’information pour les automédias
Comment redesigner la fabrique de l’information par des processus participatifs pour produire confiance et vérité en l’information au sein de milieux populaires ?
La question du design n’est pas une question périphérique ou superficielle pour les individuations automédiatiques. Le rapport de force techno-économique correspondant énoncé plus haut suppose une certaine conception de l’information, au quadruple sens de l’idée de ce qu’elle doit être, de la forme qu’elle doit prendre, de la manière de la produire et de l’usage que l’on peut en faire. Mais plus concrètement, à travers les plateformes numériques dominantes, c’est toute une conception standardisée (par une logique consumériste et calculatoire), une production automatisée (par la puissance algorithmique), une esthétique formatée (par un graphisme autoritaire et une interface fermée) et un usage contrôlé (par des restrictions, des interdictions et des captations de données) qui s’impose sans participation aux conditions de production et de communication de l’information.
Dans ce dernier axe, il s’agit alors de s’interroger non seulement sur le rôle du design de l’information sur l’information elle-même, c’est-à-dire sur l’effet que produit le “milieu technique” (Simondon, 2012) sur la nature, la perception, la signification et l’utilisation de l’information ; mais de comprendre surtout en quoi la participation au design de l’information est nécessaire pour répondre aux enjeux de vérité et de crédibilité associés à la lutte contre la post-vérité.
Au-delà des enjeux esthétiques comme des enjeux praxéologiques ou pragmatiques, le design participatif pose une question clairement politique, d’une part quant à la capacité des individus en démocratie à délibérer sur les moyens et les fins de la production de l’information (Zask, 2011) ; et d’autre part quant à la reconnaissance des exclus de la participation et à la prise en compte des opposants à la participation comme mot d’ordre à contester.
Le design participatif de l’information, en tant que fabrique démocratique, est à cet égard "pharmacologique" au sens de Stiegler, et nécessite par conséquent un examen poussé de sa toxicité pour les individuations automédiatiques, du côté des producteurs comme des récepteurs de l’information qui se prolétarisent en perdant leur savoirs réciproques (enregistrer, analyser, interpréter, critiquer) alors qu’elle devrait être le support et le modèle d’une individuation collective ou plus précisément le lieu d’un processus de transindividuation11. Une critique qui peut être notamment formulée à travers les travaux de Claire Bishop sur l’art participatif (Bishop, 2012). Corrélativement, cette pharmacologie des automédias permettrait d’évaluer et d’expérimenter la pertinence du paradigme contributif – en différence avec le paradigme participatif – pour l’élaboration d’un design de l’information compris comme une science et une fabrique populaires de l’information à l’époque de la post-vérité. Il s’agirait ainsi de co-concevoir et d’expérimenter avec des automédias des formes contributives d’un nouveau design territorialisé de l’information luttant contre la défiance, voir la méfiance, issue de la prolétarisation et de la déterritorialisation (engendrée par le design algorithmique des plateformes médiatiques et automédiatiques).
Dans ce but, les nouvelles technologies de l’Open Source Intelligence (OSINT) doivent être considérées. Cette lutte s’opère notamment par un processus d’appropriation des technologies par les habitant·es des territoires qui les transforment en retour à différentes échelles de la localité (par exemple du quartier au village, de la métropole à la région voire jusqu’à la biosphère). Les pratiques d’appropriation, de détournement, voire d’invention grâce à des formes nouvelles d’intelligence collective localisées ou reterritorialisées sont en ce sens importantes à étudier dans cet axe. Mais au-delà des enjeux démocratiques connus du design participatif, il s’agit avant tout dans cet axe d’évaluer la pertinence de son paradigme pour refonder vérité et confiance dans l’information, dès lors que l’on est invité, en tant que citoyen, à prendre part à son design.
Conclusion
À l’instar des outsiders du champ littéraire – dont Pierre Bourdieu décrivit les logiques d’émancipation et d’autonomisation de la modernité littéraire dans son ouvrage Les règles de l’art, genèse et structure du champ littéraire (Bourdieu, 1992) – les automédias nous semblent aujourd’hui promis à (co-)écrire le récit de leur subsistance, de leur existence et de leur consistance12 (Stiegler, 2013) au travers d’un dialogue comparatif avec les principes, organisations et pratiques du journalisme, en lutte non seulement avec les dogmes du journalisme, mais aussi avec un renouveau numérique des formes de l’Empire13 (Hardt, Negri, 2000). Oscillant entre résignation aux logiques d’un capitalisme numérique auquel le sentiment d’aliénation ne leur laisse que la liberté d’agir aux marges des lois fixées par ses espaces de communication, et désirs de résistance, l’Automedia, dans son moment historique actuel, désigne ici davantage des désirs et des processus d’émancipation médiatico-politique qu’une forme socio-technique et politique déjà clairement constituée. Ce dossier ne consiste pas seulement en une tentative d’analyse de ces évolutions et de ces errements, mais voudrait être aussi force de propositions pour participer à l’élaboration des concepts nécessaires à la réalisation du projet automédiatique. Pour cela, la présence de figures automediatiques dans ce dossier (notamment à travers les entretiens publiés avec des automedias) ne constituent pas seulement des objets d’étude, mais permet aussi aux automedias de devenir des acteurs d’une recherche à la fois scientifique et politique, en participant à cette élaboration conceptuelle à travers les formes d’une recherche contributive.
Comité scientifique |
---|
Yves Citton - Professeur de Littérature et Média, Université Paris 8 Vincennes-Saint-Denis, cofondateur de la revue Multitudes. Dominique Cardon - Directeur du MédiaLab Sciences Po, Professeur de Sociologie du Numérique, Membre du comité de prospective de la CNIL. Joëlle le Marec - Professeure en Sciences de l’Information et de la Communication au Muséum d’Histoire Naturelle, laboratoire PALOC (Patrimoines Locaux, Environnement et Globalisation). Geert Lovink - Directeur de l’Institute of Network Cultures, Professor of Interactive Media à la Hogeschool van Amsterdam University of Applied Sciences, mediactiviste et cofondateur du concept de tactical media. Olivier Fillieule - Directeur de recherche au CNRS, Institut politique de l’Université de Lausanne, CRAPUL (Centre de Recherche sur l’Action Politique), Professeur de Sociologie Politique. Michelle Christensen – Professeure invitée à la chaire « Open science », Technische Universität Berlin et Einstein Center Digital Future. Co-directrice avec Florian Conradi du groupe de recherche « Critical Maker Culture » à la Universitat der Kunst de Berlin et à l’Institut Weizenbaum. Professeur de design et de sociologie. Clément Mabi - Directeur adjoint de Costech, laboratoire de recherche de l’Université de technologie de Compiègne, Maître de conférences en Sciences de l’Information et de la Communication. Noël Fitzpatrick - Doyen de la GradCAM (Graduate School of Creative Arts and Media), TU Dublin, directeur de EUT Lab (European University of Technology Laboratory, Dublin), Professeur de Philosophie. Laurence Allard - Maîtresse de conférences en Sciences de l’Information et de la Communication à l’Université de Lille, laboratoire IRCAV (Institut de Recherche sur le Cinéma et l’Audiovisuel) à l’Université Paris 3 Sorbonne. Jamie Allen - Senior Researcher au Critical Media Lab, University of Applied Sciences and Arts Northwestern Switzerland, Artiste. |