Plan
Introduction (extrait)
Imaginez simplement un lieu laissant à disposition de son public différents outils, que ce soit les outils traditionnels qu’on trouve dans tout atelier de menuiserie, ou des outils plus inhabituels comme une machine à découpe laser, une machine à sérigraphie, une imprimante 3D, soit des machines à commande numérique, permettant la conception et la fabrication assistée par ordinateur. Ajoutez le fait que ces lieux sont destinés à des populations touchées par des catastrophes humanitaires, ou bien étant en situation de migration, et vous aurez un début d’idée de ce que peuvent être deux organisations singulières, à savoir Communitere et Habibi works. A la place de distribuer des couvertures ou des repas, ces deux ONG laissent en effet leurs « bénéficiaires » librement accéder à un espace où ces derniers peuvent fabriquer ce qu’ils souhaitent, que ce soit de simples objets décoratifs ou des meubles plus fonctionnels.
Il s’agit d’une idée simple et belle mais les choses se compliquent lorsqu’il s’agit de mettre un mot sur ces lieux. En effet, Sam Bloch, le fondateur de Communitere, rapporte qu’une une personne visitant son organisation déclara qu’il s’agissait là du plus beau Makerspace qu’il connaissait. Chose à quoi Sam Bloch aurait répondu : « Bien, mais au fait qu’est-ce qu’un Makerspace ? »
On peut donc reprendre à notre compte cette question en nous demandant ce qui le différencie de toute une constellation de termes, apriori tous aussi obscurs, comme « hackerspace », « Fablab », « Living lab », etc. Sachant qu’une première manière de définir les Fablabs serait de les qualifier comme le fait Gilles Boenisch1 de plateforme de fabrication rapide d’objets physiques, intelligents ou non, grâce à un ensemble de machines à commande numérique, dont les imprimantes 3D mais également découpeuses lasers etc. et autres outils plus « classiques ». Il s’agit de lieux se voulant ouvert au public permettant le développement de liens faibles, favorisant les rencontres et la sérendipité, l’interdisciplinarité, l’apprentissage par la pratique, le DIY, et ayant enfin une vocation éducative et un but de démocratisation des technologies et des techniques.
Pour ce qui concerne l’origine de ces lieux, Neil Gershenfeld, directeur du Center for Bits and Atoms, organisa en 1998 un cours intitulé « how to make almost everything », pour étudier les liens entre l’informatique et la science physique, les étudiants disposant alors d’outils numériques de fabrication et son succès inattendu déboucha sur l’organisation d’ateliers s’inspirant de ce modèle originel. S’en suit l’essaimage de Fablab à l’international, aussi bien en Norvège qu’au Ghana. Au mois de février 2017, le site Fablabs .io listait 1092 Fablabs, dans 116 pays (Adrian Smith) essaimés en France, mais également en Allemagne, en Hollande, et en Italie, où ils se sont bien implantés, et enfin on compte également des Fablabs des pays appartenant au « global South » comme l’Inde ou le Ghana.
A la suite de la prolifération de lieux numériques se revendiquant comme Fablab, une charte globale a été établie en 2002 par le MIT, permettant comme le rappelle Camille Bosqué, de conserver pour les ingénieurs du MIT un certain contrôle sur le développement d’un type de lieu dont ils souhaitent revendiquer l’origine. Elle comprend 4 critères :
La participation au réseau des ateliers des Fablabs , animé par la « Fab foundation ».
• Participation au réseau global : les membres contribuent et collaborent avec beaucoup d’autres projets d’autres Fab Labs et le Fab Lab est membre d’initiatives du réseau (A), les membres contribuent et collaborent à quelques projets d’autres Fab Labs et le Fab Lab suit les initiatives et discussions du réseau (B), ou bien il n’y a qu’une collaboration très faible ou passive avec les autres Fab Labs (C).
• Accessibilité au Fab Lab : le Fab Lab est ouvert même partiellement au public (A), ouvert à tous mais de façon payante (B), ou bien fermé ou restreint à une catégorie spécifique de public (C).
• Engagement envers la Charte Fab Labs : la charte est présentée dans le lieu et sur le site internet (A), le Fab Lab est « dans l’esprit » de la charte (B) ou bien elle n’est pas du tout mentionnée (C).
• Outils et processus : le Fab Lab possède tous les outils et processus fondamentaux, voire plus (A), il en est proche mais au moins un outil ou processus manque (B), ou bien il a des difficultés à suivre la plupart des projets ou des tutoriaux (C).
Or, le statut et la raison d’être de cette charte ouvre un débat : en effet plutôt qu’une volonté de total contrôle de la part du MIT, il semble que l’on ait plutôt affaire à un compromis entre ouverture et volonté de forger un réseau cohérent : cette charte laisse néanmoins une relative liberté d’interprétation. La labellisation formelle est abandonnée en 2010, et est remplacée par un système d’auto-évaluation. Les 4 critères ne sont pas nécessairement tous respectés, et chaque Fablab est évalué selon une note globale de type ABBA par exemple, ou BAAA, ou AAAA…Par conséquent, cela laisse des marges d’appropriations/ détournement des lieux selon les projets. On pourra voir que la qualification de Fablab fait l’objet de débat, et que la frontière avec d’autres lieux de fabrication numérique est parfois poreuse.
Après cette courte histoire des Fablabs , on peut parcourir la littérature disponible sur le sujet, une littérature relativement récente, comme le rappelle Camille Bosqué, et à partir de laquelle se dessinent trois types de questionnement :
• Un premier questionnement est d’ordre définitionnel et identitaire, et a pour enjeu d’interroger le continuum entre différents lieux de production que sont les hackerspaces, les Makerspace s et les Fablabs .
• Un deuxième type de questionnement concerne la tension qui se dessine dans les Fablabs entre fermeture et ouverture, selon qu’il s’agisse de lieux autonomes ou de lieux intermédiaires, de lieux méritocratiques ou de lieux mettant en contact différents mondes sociaux.
• Un troisième type de questionnement concerne le potentiel de rupture de ce type de lieu, en termes de production, de rapport au travail à l’économie, ce qui en filigrane interroge leur dimension politique, et notamment leur rapport à l’idéologie néolibérale.
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Sommaire
I – LE MAKERSPACE HUMANITAIRE - Distance au numérique, proximité organisationnelle
A - Les causes du rapport distancié à l’innovation et aux NTIC, perception des acteurs humanitaires et besoins des réfugiés
B - Formes horizontales d’organisation en contexte humanitaire
C - Les Makerspace comme espace d’émancipation, de réduction des dominations ou de maintien d’exclusions ?
II – INTEGRATION INNOVANTE ? - Dimensions connexes de la reconstruction des réfugiés en Makerspaces
A - L’espace des Fablabs : valorisation du local et création de liens sociaux, du non lieu au tiers lieu, des camps à l’intégration ?
B - L’apprentissage par la pratique ou des modes d’apprentissages pas si alternatifs ?
C - Intégration économique, un objectif encore à développer, avec deux scénarios, capitalisme cognitif et start up destinées aux réfugiés
III – PLACE DES REFUGIES ? - Critique des institutions & désir d’autonomie contre quête de légitimité & négociation d’une place dans la gouvernance humanitaire
A - Entre désir d’autonomie et quête de légitimité : trouver sa place au sein de la gouvernance humanitaire.
B - L’idéal participatif : valorisation de formes communautaires d’organisation.