Plan
1 - Introduction et état de l’art
Pendant des décennies, le système éducatif a été considéré comme l’un des principaux vecteurs sociétaux de réduction des inégalités sociales (Fullan, 2015), c’est-à-dire que le système éducatif permettait d’obtenir à la fois plus d’acteurs bien formés et une évolution sociale, ce qui est synthétisée en français par l’expression « ascenseur social ». Dans de nombreux pays européens, le ralentissement de la croissance est corrélé à une « panne de l’ascenseur social » c’est-à-dire à une mobilité socioprofessionnelle intergénérationnelle faible (Chauvel, 2006, Boone et Goujard, 2019). C’est dans ce contexte difficile que le système éducatif doit évoluer et intégrer la prise de conscience des limites physiques et naturelles de la planète c’est-à-dire de former au Développement Durable (DD) et aux transitions nécessaires pour le mettre en œuvre. Nous adoptons ici la définition traditionnelle du DD, tirée du rapport Brundtland (1987) qui insiste sur l’exigence de « répondre aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures à répondre aux leurs ».
Les déclarations internationales qui font référence à la nécessité d’inclure le développement durable (DD) dans le programme d’études et de développer la recherche interdisciplinaire et transdisciplinaire ainsi que la sensibilisation du public sont déjà anciennes (Wright, 2002). Depuis, l’ONU a communiqué sur les 17 objectifs du développement durable et l’enseignement supérieur du DD devient un enjeu stratégique pour les formations supérieures (Fuertes-Camacho et al., 2019 ; Dyer et Dyer, 2017).
Sterling (2004) a défendu que « la durabilité n’exige pas simplement un ’ajout’ aux structures et programmes existants, mais implique un changement d’épistémologie fondamentale dans notre culture et dans notre pensée et pratique éducative […], la durabilité est une porte d’entrée vers une vision différente du curriculum, de la pédagogie, du changement organisationnel… ». Qu’en est-il aujourd’hui dans les établissements d’enseignement supérieur impliqués dans l’intégration de l’enseignement du DD dans leurs cursus ?
Cinq approches principales d’intégration du développement durable dans les programmes d’enseignement supérieur ont été repérées (Lozano et al. 2015) : i) la couverture de certaines questions environnementales par un ou quelques cours existants ; ii) un cours de DD spécifique ; iii) le DD étroitement lié en tant que concept dans les cours disciplinaires réguliers ; iv) le DD présenté comme possibilité de spécialisation dans le cadre de chaque établissement supérieur ; v) le DD en tant que programme obligatoire de premier cycle ou de troisième cycle. L’intégration des approches de développement durable diffère donc d’une institution à l’autre.
On constate que, au moins au début, la plupart des études se concentrent sur le pilier environnemental (Thomas, 2004 ; Chalmeau et al. 2016). Par ailleurs, il existe des indicateurs pour évaluer l’intégration des initiatives universitaires de développement durable dans les universités et les campus (Olszak, 2012). Urbanski et Rowland (2014) ont développé un outil polyvalent (STARS) dans le mouvement de durabilité des campus. Cet outil a été publié par le Consortium pour la durabilité des associations de l’enseignement supérieur (HEASC) en 2006 et « aborderait toutes les dimensions de la durabilité et tous les secteurs et fonctions d’une université ». Ce type d’outil évalue la « performance de durabilité » des collèges et universités, sans comprendre comment les différentes performances sont atteintes et sans analyser l’importance du DD dans les enseignements.
Il devient donc important de comprendre comment sont améliorées les « performances de durabilité » c’est à dire comment la population des enseignants et des élèves évolue pour permettre cette transformation. Quelles sont les innovations nécessaires et comment se mettent-elles en place progressivement ? Depuis 2000, de nombreuses études ont porté sur le développement durable, l’innovation et les transitions technologiques, en partant de l’idée que l’innovation est un facteur clé pour la transition vers le développement durable (Mulder, 2016). Les travaux conceptuels ont porté sur le développement durable dans la formation des ingénieurs (Mulder, 2006, 2017 ; Mulder et al. 2012 ; Segalàs-Coral, 2009). Ceci conduit à analyser le rôle, et à constater l’importance de l’innovation pédagogique dans la formation au DD (Hall et Vredenburg, 2003 ; Mulder, 2007). En conséquence, pour atteindre un système éducatif durable, l’intégration du DD dans les programmes éducatifs demande de l’innovation (Mulder, 2006 ; Quendler, 2017). En éducation, la compréhension de chaque étape de la transformation pas à pas vers un enseignement du DD devient une priorité stratégique pour l’intégration du DD (Mulder et al., 2012). Le changement pourrait commencer avec les responsables pédagogiques de formation, puis s’étendre vers les enseignants chercheurs, mais le mouvement inverse est concevable.
Comme l’enseignement est tourné vers les apprenants, c’est-à-dire ici, les élèves-ingénieurs, l’efficacité de l’évolution de l’enseignement du DD doit pouvoir être évaluée par l’évolution des élèves ingénieurs. Sur cette communication nous nous focaliserons sur les élèves-ingénieurs, et plus précisément sur leur perception du DD.
Notre question de recherche est la suivante : quelles sont les évolutions des perceptions des étudiants sur la valeur de l’intégration du DD et de l’innovation dans le programme d’enseignement ? Dans ce programme, un dispositif dit « Go LaSalle » oblige les élèves-ingénieurs à suivre un cursus de six mois dans une université étrangère du réseau lasallien. Cette perception a donc été étudiée avant le départ et après le retour de ce dispositif, c’est-à-dire à près de dix mois d’écart, ce qui peut donner un commencement d’indication sur l’évolution de leur perception.9
Cet article présente des recherches antérieures sur le DD dans le contexte de l’enseignement supérieur (section 2). Dans la section 3 nous abordons comment la réflexion a évolué sur la conception d’un questionnaire concernant la perception du développement durable et de l’innovation par nos étudiants. La méthodologie de recherche est décrite dans la section 4. Les résultats de ce questionnaire fourniront les perceptions des étudiants sur l’intégration du DD et de l’innovation pédagogique avant et après le programme « Go LaSalle ». (UniLaSalle Beauvais) sont présentées dans la section 5.
Certaines conclusions sont tirées dans la section 6.
Notre hypothèse ici, c’est que les élèves pourraient avoir changé de perception du DD et de l’innovation dans leur formation après les six mois d’expérience internationale du dispositif « Go LaSalle ».
2 - Enseignement du DD et de l’innovation dans la formation d’ingénieurs : cas d’UniLaSalle
Depuis 2009, les établissements d’enseignement supérieur français se sont engagés stratégiquement dans l’intégration générale du DD, tant au niveau de l’activité des établissements que dans les formations. La Conférence des Présidents d’université (CPU) et la Conférence de l’enseignement supérieur (CGE) ont proposé le Plan Vert (article 55 du 3 août 2009 de la loi Grenelle 1) et l’intégration de la durabilité dans l’enseignement supérieur. Nous avons présenté une étude de cas à « l’Institut Polytechnique UniLaSalle », axée sur la formation des ingénieurs (Fourati-Jamoussi et al. 2015).
En effet, UniLaSalle vise à former de jeunes ingénieurs ou managers dans des domaines directement concernés par le DD (Agriculture, Alimentation et Santé, Géologie et Environnement). De plus, l’approche DD est intégrée à UniLaSalle à trois niveaux : vie du campus, enseignement et recherche. UniLaSalle a décidé de faire partie des pionniers dans l’utilisation du référentiel d’auto-évaluation comme guide pour construire son plan d’action. L’équipe de direction a estimé que « les stratégies durables dans une école d’ingénieurs sont une approche holistique qui relie gouvernance et stratégie, enseignement et recherche et vie sur le campus. Il s’agit d’un travail « à la fois au niveau individuel et institutionnel concernant toutes les dimensions de la durabilité ».
Dans ce contexte, comme présenté dans ce précédent article, la question était : comment placer une approche intégrée du DD dans la stratégie d’UniLaSalle ? (Fourati-Jamoussi et al. 2015) Cet article s’est concentré sur l’étude de la durabilité en utilisant deux perspectives : l’intégration et l’évaluation par l’équipe de direction. Fourati-Jamoussi et al. (2017) a étendu cette idée de la durabilité à travers la perception des équipes de direction et de direction des programmes. Une méthodologie qualitative (Yin 1994) a été choisie, basée sur l’étude du cas UniLaSalle. Les données ont été collectées à partir de 27 entretiens semi-structurés (pendant 45 min) constitués en deux groupes : la direction générale et les équipes de gestion des curricula. Le guide d’entretien a été construit autour de six thèmes / questions : i) quelle est la définition de l’innovation dans l’enseignement d’un ingénieur ? ; ii) quels sont les différents types d’innovations ? ; iii) quelles sont les raisons d’innover chez UniLaSalle ? ; iv) quelle est la définition du DD ? ; v) quelles sont les raisons d’intégrer le DD dans la formation des ingénieurs ? ; vi) quel est le lien entre le développement durable et l’innovation dans l’enseignement de l’ingénierie ?
Les résultats de cette recherche peuvent être résumés comme suit (Fourati-Jamoussi 2019) :
i) Les raisons d’intégrer l’innovation dans le cursus ingénieur à UniLaSalle : L’équipe de direction générale est plus concernée par la problématique de l’environnement global et de l’évolution de la formation tandis que l’équipe de gestion des cursus recherche le meilleur compromis entre les besoins des entreprises et les besoins et désirs des étudiants.
ii) Les raisons de l’intégration du DD dans le cursus d’ingénierie : Selon l’équipe de direction, la première raison d’intégrer le DD est de former des ingénieurs responsables. L’équipe de gestion des curricula, en charge des modules de qualification professionnelle, se concentre précisément sur une dimension éthique. Les questions réglementaires et environnementales sont également importantes pour ce groupe.
iii) Les piliers perçus du développement durable : un élément important des résultats précédents est l’émergence d’un quatrième pilier. Trois répondants ont insisté sur cette quatrième dimension et affirmé que la gouvernance des ressources énergétiques et minérales est spécifique et différente des enjeux environnementaux qui sont plus liés au monde vivant naturel. Ce quatrième pilier a été intégré lors de l’élaboration de l’enquête soumise aux étudiants. Les trois piliers – économique, social et environnemental - sont bien intégrés par les équipes de direction et de gestion des programmes.
iv) Le lien entre le développement durable et l’innovation dans la formation d’ingénieur : le développement durable est désormais perçu comme un stimulant à l’innovation pour la majorité des répondants (les deux équipes). Le DD est considéré comme une contrainte qui induit l’innovation et parfois comme un facteur à la fois favorisant et restreignant l’innovation.
Il convenait donc de poursuivre en évaluant l’impact de l’intégration du développement durable et de l’innovation dans le cursus d’ingénierie, à UniLasallle, sur la perception des étudiants (Fourati-Jamoussi et al. 2018). Les réponses des étudiants convergent avec celles de l’équipe de gestion des curricula. La plupart des étudiants pensent que le DD est un facteur d’innovation dans leur cursus. Selon leur spécialité, les différents piliers du DD ne sont pas traités avec la même intensité. De plus, la conception d’un quatrième pilier concernant la gouvernance des ressources énergétiques et minérales ressort des réponses des spécialisations géologie et environnement. Ces différences de perception peuvent être liées aux différences de programmes respectifs et aux premières expériences professionnelles. Le rôle de la formation et la nécessité d’équilibrer l’intégration des quatre piliers dans les différents cursus suggèrent des actions différenciées selon les spécialités.
Lorsqu’une stratégie d’innovation et de DD est mise en œuvre dans la formation à tous les niveaux de l’établissement, de la direction générale aux responsables de cursus, mais aussi dans la vie sur le campus, cette étude montre que les étudiants se sentent également concernés par cette vision ; 66% des étudiants considèrent que le développement durable favorise l’innovation dans le cursus d’ingénierie et 30% considèrent que le développement durable favorise et limite l’innovation dans le cursus. Cela confirme que la mise en œuvre du développement durable dans une formation d’ingénieurs est perçue comme pouvant conduire à l’innovation pédagogique. La variabilité interne des réponses dans chaque spécialité semble étonnamment élevée. Cela peut être dû à une hétérogénéité interne de la population pour chaque spécialité, e.g. le niveau d’éducation et les catégories socioprofessionnelles des parents.
Cette réflexivité particulière, à la fois de la part du personnel, des responsables de cursus et des étudiants, peut apporter des informations précieuses dans le soutien de tout établissement de formation d’ingénieur qui souhaite intégrer plus de responsabilité sociale dans son propre développement. Il peut également promouvoir la formation et la recherche comme vecteur d’alignement des besoins du marché du travail avec les connaissances et compétences acquises par les futurs ingénieurs.
3 - Construction d’un questionnaire pour évaluer la perception des élèves concernant le DD et l’innovation
Différentes échelles ont été conçues et testées auprès des étudiants dans différentes universités. L’échelle EAATSD – « Les attitudes écocentriques et anthropocentriques envers le développement durable » – mesure les préoccupations environnementales des étudiants en choisissant des cours facultatifs en lien avec la durabilité (Kopnina et Cocis, 2017). D’autres chercheurs ont présenté un ensemble d’indicateurs concernant les définitions et les objectifs de l’Enseignement du DD dans un contexte géopolitique européen. Ces recherches ont souligné l’importance de ces indicateurs pour évaluer et suivre les pratiques de l’Enseignement du DD et pour guider les politiques éducatives à différents niveaux, du global au local, y compris les décisions aux niveaux de l’école et de la classe (Capelo et al. 2012).
À partir de nos travaux antérieurs, d’ordre qualitatif et quantitatif, déjà cités dans la section précédente, sur le cas d’UniLaSalle, nous avons fait évoluer le questionnaire diffusé auprès des élèves en novembre 2017. Nous nous sommes basés sur les travaux de Hagège et al. 2009 qui ont mobilisé deux questionnaires (AFC10 et Biohead11) pour évaluer l’attitude responsable des enseignants envers l’environnement. Nous avons adapté les items de leurs questionnaires à notre population et au contexte de l’Institut UniLaSalle. Les thèmes étudiés lors de la 1re enquête de novembre 2017 sont les suivants :
i) Définition du développement durable
ii) Importance des piliers du développement durable
iii) Objectifs d’un enseignement sur le développement durable
iv) Raisons qui incitent UniLaSalle à intégrer le développement durable dans ses programmes de formation
v) Importance accordée à l’innovation et selon vous qu’est-ce qu’innover
vi) Raisons qui incitent UniLaSalle à innover dans ses programmes de formation
Nous avons rajouté trois thèmes en nous inspirant des travaux de Hagège et al. 2009 :
i) Définition d’un monde plus durable
ii) Votre relation à l’environnement
iii) Votre pensée sur la nature et l’humain
4 - Méthodologie
Cette communication a pour objet de montrer l’évolution dans la durée de la perception des élèves ingénieurs en ce qui concerne le DD et l’innovation en intégrant le dispositif international dit « Go-LaSalle ».
4.1 - Participants et déroulement
163 étudiants issus de deux spécialités ont participé à l’étude : 82 de la spécialité Agronomie et Agro-Industries (47 garçons et 35 filles) et 81 de la spécialité Alimentation et Santé (15 garçons et 66 filles). Les étudiants ont été rencontrés à deux reprises, avant leur départ en séjour GoLaSalle en avril-mai 2019 (temps T1), puis à leur retour en février 2020 (temps T2). Au temps T1, l’âge moyen des étudiant.e.s est de 19,5 ans (écart-type = 0,7), au retour, il est de 20,3 ans (écart-type = 0,7). Les séjours GoLaSalle se sont déroulés dans 6 pays différents : le Brésil, la Colombie, le Costa Rica, le Mexique, les États-Unis d’Amérique et enfin les Philippines.
4.2 - Mesures
Le questionnaire est divisé en 2 parties. La première partie aborde 9 thématiques pour un ensemble de 44 questions.
À propos des thématiques « Définition du développement durable » (6 items, ex. : le développement durable est une responsabilité citoyenne), « Objectifs d’un enseignement sur le développement durable » (4 items, ex. : sensibiliser les ingénieurs aux enjeux du développement durable), « Définition d’un monde plus durable » (5 items, ex. : un monde assurant une meilleure qualité de vie pour tous en préservant la planète), « Définition de l’action d’innover » (5 items, ex. : mettre sur le marché un produit nouveau), « Votre relation à l’environnement » (3 items, ex. : la déforestation, la diminution de la biodiversité, la pollution des mers m’angoissent fortement car je me sens amputé(e) d’une partie de moi-même), « Votre pensée sur la nature et l’humain » (5 items, ex. : les sociétés humaines ont toujours été capables de résoudre les problèmes environnementaux), les étudiants expriment leur degré d’accord à l’aide d’une échelle de Likert en 5 points allant de 1 = « pas du tout d’accord » à 5 = « tout à fait d’accord ».
Pour les thématiques « Importance des piliers du développement durable » (4 items, ex. : pilier économique) et « Importance accordée à l’innovation » (1 item), les étudiants expriment leur avis à l’aide d’une échelle de Likert en 5 points allant de 1 = « pas du tout important » à 5 = « très important ».
Sur les deux thématiques « Raisons qui incitent UniLaSalle à intégrer le développement durable dans ses programmes de formation » (5 items, ex. : pour accroître le niveau de responsabilisation du futur ingénieur) et « Raisons qui incitent UniLaSalle à innover dans ses programmes de formation » (6 items, ex. : pour répondre à une demande des entreprises et des industries), les étudiants indiquent leur réponse à l’aide d’une échelle de Likert en 5 points allant de 1 = « tout à fait improbable » à 5 = « tout à fait probable ».
La deuxième partie du questionnaire concerne les données sociodémographiques (âge, sexe, etc.) et les renseignements sur les études poursuives (spécialité, destination du séjour GoLaSalle, etc.) avec un ensemble de 9 questions.
4.3 - Méthode d’analyse des données
Les données recueillies ont été soumises à des analyses statistiques réalisées avec le logiciel SPSS. Pour mesurer les différences avant (T1) et après (T2) le séjour GoLaSalle, des tests t pour échantillons appariés ont été réalisés, séparément pour les deux spécialités : Agronomie et agro-industries d’une part, et Alimentation et santé d’autre part. Pour chaque item, les différences dont le seuil est inférieur à 0,05 ont été considérées comme significatives. Lorsque les différences sont significatives, la taille de l’effet a été calculée à l’aide de l’indice η2. Autour de 0,01, la taille de l’effet est considérée comme de petite taille, de taille moyenne autour de 0,06 et de grande taille autour de 0,14 ou au-delà (Cohen, 1988).
5 - Résultats
5.1 - Définition du développement durable
Pour les étudiants de la spécialité Alimentation et santé, il n’y a pas de différence significative de leur degré d’accord avec cinq des six items de la définition du développement durable, avant et après le séjour GoLaSalle (tableau 1). Seul le degré d’accord avec l’item « être solidaire » est significativement plus élevé au temps T2 (retour du séjour) par rapport au temps T1 (avant le séjour) (t(79) = 2,50, p < 0,05). La taille de l’effet est moyenne (η2 = 0,07). Pour les étudiants en Agronomie et agro-industries, aucune différence significative n’est observée sur l’ensemble de ces items entre les temps T1 et T2.
5.2 - Importance des piliers du DD
Pour les étudiants en Alimentation et santé, l’importance de trois piliers du développement durable sur quatre est plus élevée au temps T2 par rapport au temps T1. Il s’agit de l’importance des piliers économique (t(78) = 2,13, p < 0,05, η2 = 0,05), environnemental (t(78) = 2,33, p < 0,05, η2 = 0,07) et social (t(78) = 3,50, p < 0,01, η2 = 0,13). Les tailles de l’effet sont moyennes (piliers économique et environnement) et élevées (pilier social). Pour les étudiants en Agronomie et agro-industries, le seul écart significatif observé concerne l’importance du pilier énergie et ressources minérales qui diminue entre les temps T1 et T2 avec une taille de l’effet moyenne (t(74) = 2,27, p < 0,05, η2 = 0,07).
5.3 - Objectifs d’un enseignement sur le DD
Pour les étudiants en Alimentation et santé, le degré d’accord de trois sur quatre des items relatifs aux objectifs d’un enseignement sur le développement durable augmente de manière significative au temps T2 par rapport au temps T1. Il s’agit de « Sensibiliser aux enjeux du développement durable » (t(79) = 2,42, p < 0,05, η2 = 0,07), « transmettre une matière à apprendre » (t(79) = 2,26, p < 0,05, η2 = 0,06) et « inciter une mise en pratique dans la vie sur le campus » (t(79) = 2,13, p < 0,05, η2 = 0,05). Dans chacun des cas, la taille de l’effet est moyenne.
Pour les étudiants en Agronomie et agro-industries, le degré d’accord de deux sur quatre des items relatifs aux objectifs d’un enseignement sur le développement durable augmente de manière significative au temps T2 par rapport au temps T1. Il s’agit d’« inciter une mise en pratique dans la vie sur le campus » (t(74) = 2,76, p < 0,01, η2 = 0,09) et d’« inciter une mise en pratique dans la vie personnelle » (t(74) = 2,13, p < 0,05, η2 = 0,08). Dans chacun des cas, la taille de l’effet est moyenne.
5.4 - Raisons qui incitent UniLaSalle à intégrer le DD dans ses programmes de formation
Concernant les raisons qui incitent UniLaSalle à intégrer le développement durable dans ses programmes de formation, peu de variations significatives sont observées entre les temps T1 et T2. Seul l’item « accroître le niveau de responsabilisation du futur ingénieur » augmente de manière significative pour les étudiants en Agronomie et agro-industries entre le temps T1 et le temps T2 (t(74) = 2,43, p < 0,05). La taille de l’effet est moyenne (η2 = 0,07). Pour les étudiants en Alimentation et santé, aucune différence significative n’est observée sur l’ensemble de ces items entre les temps T1 et T2.
5.5 - Définition d’un monde plus durable
Les degrés d’accord avec les items de la définition d’un monde plus durable sont stables entre les temps T1 et T2. Seul le degré d’accord avec l’item « un monde en adaptation permanente » augmente de manière significative pour les étudiants en Alimentation et santé entre les temps T1 et T2 (t(79) = 2,62, p < 0,05). La taille de l’effet est moyenne (η2 = 0,08).
5.6 - Relation à l’environnement
Sur les items de la relation à l’environnement, un seul varie de façon significative entre les temps T1 et T2 et uniquement pour les étudiants en Alimentation et santé. Cet item affirme « La déforestation, la diminution de la biodiversité, la pollution des mers ne me touchent guère car l’homme est suffisamment inventif pour surmonter ces problèmes ». Le degré d’accord des étudiants avec cet item diminue significativement entre les temps T1 et T2 (t(79) = 2,39, p < 0,05). La taille de l’effet est moyenne (η2 = 0,07).
5.7 - Pensée sur la nature et l’humain
Concernant la pensée sur la nature et l’humain, un seul item varie de façon significative entre les temps T1 et T2 et uniquement pour les étudiants en Agronomie et agro-industries. Cet item affirme « Je pense que la nature a toujours été capable de se rétablir d’elle-même, et elle continuera ainsi ». Le degré d’accord des étudiants avec cet item augmente significativement entre les temps T1 et T2 (t(74) = 2,47, p < 0,05). La taille de l’effet est moyenne (η2 = 0,08).
5.8 - Importance accordée à l’innovation et définition de l’action d’innover
Sur les items de l’importance accordée à l’innovation et de la définition de l’action d’innover, aucune différence significative n’est observée entre les temps T1 et T2.
5.9 - Raisons qui incitent UniLaSalle à innover dans ses programmes de formation
Pour les étudiants en Alimentation et santé, le degré d’accord avec trois sur six des raisons qui incitent UniLaSalle à innover dans ses programmes de formation diminue de manière significative au temps T2 par rapport au temps T1. Il s’agit d’une diminution significative du degré d’accord avec les affirmations suivantes : « Répondre à une demande des entreprises et des industries » (t(79) = 2,43, p < 0,05, η2 = 0,07), « Améliorer continuellement la qualité des enseignements » (t(79) = 2,35, p < 0,05, η2 = 0,07) et « Répondre à une demande du marché de l’emploi » (t(79) = 2,34, p < 0,05, η2 = 0,06). Dans chacun des cas, la taille de l’effet est moyenne. Pour les étudiants en Agronomie et agro-industries, aucune différence significative n’est observée sur l’ensemble de ces items entre les temps T1 et T2.
6 - Discussion et conclusion
L’étude de Kopnina et Meijers (2014) fournit des éléments sur la réflexion d’un outil alternatif d’évaluation de la perception des étudiants pour répondre au besoin de traiter les paradoxes et ou les contraintes de DD à deux niveaux : i) pratiques des enseignements du DD diversifiées ; ii) compréhensions du DD perçues différemment par les différents acteurs de l’institut.
Cette étude est une tentative de réponse en se concentrant sur la conception d’un questionnaire qui peut être utilisé comme un outil d’évaluation de la perception des étudiants.
La première conclusion immédiate concerne la différence entre les deux spécialités : Alimentation et santé (AS) versus Agronomie et agro-industries (AA). D’un côté, il y a une répartition garçon-filles très différente et de l’autre l’origine des deux populations socioprofessionnelle et territoriale est différente. La population d’AS est très féminisée (66 filles pour 15 garçons) et issue en très forte majorité de milieu urbain (majorité en Île de France). En revanche, la population d’AA est plus masculine (47 garçons et 35 filles) est issue en forte majorité de milieu rural, avec plus de 40% issu du milieu agricole, le tiers nord de la France étant sur-représenté. Ceci pourrait être les deux premiers facteurs explicatifs des différences observées.
De plus, les deux premiers thèmes montrent clairement une différence entre ces deux populations concernant leur définition du développement durable, mais il apparait que le pilier environnement non seulement est le plus important, mais c’est également celui qui augmente le plus après l’expérience internationale. Cette donnée est consonante avec les travaux de Kagawa (2007) sur les perceptions des étudiants du développement durable de l’université de Plymouth. Ces étudiants, après avoir suivi les cours, pensent que la durabilité est une « bonne initiative ». Mais leur perception ne se montre pas corrélée avec les concepts étudiés, et ils associent davantage les concepts du DD à leur environnement qu’aux aspects économiques et sociaux. Ils sont conscients de leur responsabilité en tant que citoyens (habitudes d’achat, recyclage, économie d’énergie et eau, …).
Ici nous pouvons dire qu’il faut étudier de manière plus approfondie l’origine sociale des étudiants, l’importance du ratio garçons/filles, et aussi la nature de la formation (Fourati-Jamoussi, et al 2018). Ici, les problématiques sociales, de solidarité, de soin, sont beaucoup plus importantes en AS, et l’expérience internationale accentue cette perception.
Concernant les objectifs d’un enseignement du DD, il y a davantage de ressemblance entre les deux populations. Ils sont globalement conscients de l’importance d’un enseignement sur le DD. Les items relatifs aux objectifs d’un enseignement sur le développement durable augmentent de manière significative au temps T2 par rapport au temps T1, mais différemment en AS et en AA. L’étude de Sharma et Kelly en 2014 porte sur les perceptions des étudiants sur l’enseignement du DD dans une école de commerce en New-Zélande. Les résultats ont montré que les élèves percevaient l’amélioration de leurs pratiques commerciales suite à leurs études axées sur le DD. Cette étude suggère la discussion de ce qu’il faut incorporer dans les programmes de l’enseignement du DD, pour aider les élèves à mieux comprendre ces concepts en évolution.
L’état des connaissances, de l’attitude et le comportement des élèves suite à l’enseignement du DD et de l’environnement a été étudié aussi par Al-Naqbi et Alshannag (2018) au sein d’une université publique aux Emirats Arabes Unis. Cette étude a révélé des attitudes positives et un comportement positif modéré des élèves et avec un niveau élevé de compréhension et de connaissances de ces concepts. Ce que montre cette étude c’est aussi que les étudiants d’UniLaSalle sont conscients de leur responsabilité comme ingénieur, et que l’enseignement du DD accroît leur niveau de responsabilisation et leur permet d’appréhender les problèmes environnementaux et réglementaires.
Depuis, suite à une réforme dite « H2020 », un cours d’introduction au DD, a été mis en place dans la programmation de la première année du tronc commun. Il part des constats désormais identifiés et incorpore l’IDH (Indice de Développement Humain) dans les analyses, conformément aux recommandations du PNUD12 (2020).
Pour la définition d’un monde durable, l’accord massif des étudiants c’est d’abord une meilleure qualité de vie pour tous. Même s’il y a le goût pour un monde plus stable on peut noter que pour les AS « un monde en adaptation permanente » augmente de manière significative entre les temps T1 et T2. Cela montre une forme d’ambivalence et aussi leur jeune âge. Mais les deux groupes se montrent déjà dans l’action, avec l’envie de protéger l’environnement
Concernant la pensée sur la nature et l’humain, l’ensemble des réponses dénote une forme d’inquiétude réelle en reconnaissant à la fois la fragilité de l’environnement naturel, mais aussi la fragilité des sociétés humaines et une sorte d’impasse sur les moyens à mettre en œuvre. On peut imaginer qu’après la pandémie de la Covid-19 ce sentiment sera encore accru.
Pour ce qui concerne les raisons d’innover, on constate en premier lieu un accord massif commun des deux populations d’étudiants. Ils font finalement confiance à l’institution, aux entreprises et à leurs enseignants, davantage qu’à leurs propres inclinations. Ils sont conscients que l’institution cherche à adapter leur formation à la fois aux besoins collectifs et aux exigences de l’environnement.
Le dernier point demandera des investigations complémentaires, il semble qu’après ce séjour « les raisons d’innover dans les programmes de formation » baissent pour la population AS, celle qui s’est montré généralement plus réceptive à des changements. La raison pourrait provenir du pays dans lequel a été effectué le séjour académique (GoLaSalle). En effet, les pays diffèrent fortement en termes de niveau de développement et de culture : le Brésil, la Colombie, le Costa Rica, le Mexique, les États-Unis d’Amérique, les Philippines. Disposant des données, nous pourrons poursuivre l’analyse dans cette direction.